A VOTRE SERVICE
Personnages : Le vendeur
La cliente
Le boxeur
Petit comptoir de magasin un peu sombre. La cliente entre. Le vendeur est derrière son comptoir, penché sur une revue. La cliente semble tourner à droite à gauche, hésitante, sans trop oser lui parler. Au bout d’un moment de silence, le vendeur redresse la tête et s’adresse à la cliente.
Le vendeur
Bonjour madame, je peux faire quelque chose pour vous ?
La cliente (un peu gênée)
Je ne sais pas… Je suis entrée ici par hasard.
Le vendeur (tout en l’observant avec méticulosité)
C’est normal. Tous nos clients entrent ici par hasard et ensuite ils affirment n’y être jamais venus. Vous pouvez compter sur notre discrétion.
La cliente (faisant mine de tourner la tête autour d’elle)
Je vois que vous n’avez aucun modèle exposé.
Le vendeur.
En général, nous évitons. Vous recherchez quelque chose en particulier ?
La cliente
C’est un peu spécial, c’est pour mon mari.
Le vendeur
Oui… Dites-m’en plus…
La cliente (hésitante)
Je souhaiterais…dans un laps de temps assez rapide si possible… m’en débarrasser.
Le vendeur
C’est une demande tout à fait habituelle. Pour ça, nous avons ce qu’il vous faut.
La cliente
Pas trop cher ?
Le vendeur
Ça dépend de ce que vous recherchez exactement. Le seul modèle disponible que nous ayons pour l’instant en magasin est d’un rapport qualité/prix intéressant. Ceux qui ont loué ses services ne s’en sont jamais plaints.
La cliente
Il est possible de… de le voir ?
Le vendeur
C’est même conseillé. Si vous voulez, je l’appelle.
La cliente
Oui, faites.
Le vendeur (criant vers l’arrière-boutique)
Eddy, Eddy, tu peux venir.
Arrive le boxeur en peignoir depuis l’arrière-boutique. Il est sombre. Il ne dit rien et se tient immobile à côté du comptoir.
La cliente (intriguée)
Pourquoi est-il en peignoir ?
Le vendeur
C’est un ancien boxeur. Il aime bien être en peignoir. Ça lui rappelle l’époque où il montait sur le ring. Il s’agit d’un modèle qui rencontre beaucoup de succès.
La cliente (un ton plus bas, comme en aparté)
Il semble un peu… ahuri, non ?
Le vendeur
C’est le problème avec les anciens boxeurs. Mais ça n’a pas d’incidences sur le travail. Si vous voulez, à cause des coups qu’ils ont reçus au cours de leur carrière, ils ont les méninges qui flottent. C’est un peu décollé à l’intérieur. Voyez, si on le secoue un peu, on sent bien qu’il y a du jeu.
Il prend le bras et l’épaule du boxeur et le secoue en faisant mine de prêter l’oreille. Le boxeur oscille légèrement du chef.
Le vendeur
Vous avez senti ?
La cliente
Vous permettez ?
Le vendeur
Je vous en prie.
La cliente prend le bras et l’épaule du boxeur et le secoue en faisant mine de prêter l’oreille. Le boxeur oscille légèrement du chef.
La cliente (elle pointe le doigt vers la tête du boxeur)
Ah oui, y’a du jeu.
Le vendeur
Je vous disais.
La cliente
Et vous en avez beaucoup des comme ça ?
Le vendeur
Un certain nombre. La plupart cherchent à se reconvertir dans notre secteur d’activité. On leur fait subir une petite mise à niveau car quand ils arrivent, ils ne connaissent rien aux armes. Ils ne savent que jouer du poing.
La cliente
Mais il n’est pas dangereux ?
Le vendeur
Donnez-lui un coup, vous allez voir.
La cliente
Je peux ?
Le vendeur
Allez-y, allez-y. C’est sans risque.
La cliente donne un coup sur l’épaule du boxeur. Le boxeur se recroqueville en position de défense.
Le vendeur
Vous voyez, la réaction est toute simple : il se rétracte. Position de défense. Ça ne va pas plus loin.
La cliente
C’est amusant
Le vendeur (approbatif)
N’est-ce pas ?
La cliente
Mais pourquoi ne dit-il pas un mot ?
Le vendeur (vaguement rigolard)
Alors là, si vous arrivez à le faire parler, je vous fais une remise. Avouez quand même que c’est rassurant.
La cliente (la mine coquine)
Et je me demandais… bon ça n’a rien à voir avec notre affaire mais on peut s’en servir comme euh … (d’une voix basse) sex-toy ?
Le vendeur
Comment ?
La cliente
Je disais : on peut s’en servir comme sex-toy ?
Le vendeur
Je vous le déconseille. Ça vous obligerait à l’emporter avec vous. Et dans ce cas-là, il vaut mieux prendre du plus jeune. Ce modèle est vigoureux mais ce n’est quand même pas du premier choix.
La cliente (avec un sourire un peu gêné)
Je disais ça comme ça.
Le vendeur
Donc ce serait pour votre mari ?
La cliente
Oui, il me trompe avec sa secrétaire, et ça depuis au moins six mois mais je ne l’ai appris qu’il y a une quinzaine de jours et…
Le vendeur (faisant mine de mettre les mains en coquille sur les oreilles comme s’il ne voulait rien entendre)
Tut tut tut. Pas trop de précisions. Nom, photo et adresse, ça suffit. Le reste, on ne veut pas savoir. Ceci dit, vous ne pouviez pas mieux tomber. Les maris infidèles, en ce moment, c’est notre cœur de cible. On a pensé faire un mailing mais on a un certain devoir de réserve.
La cliente
Je comprends. Et pour celui-ci, c’est quel tarif ?
Le vendeur
Selon nos barèmes, cinquante mille euros tout compris.
La cliente (tiquant un peu)
Ah oui quand même !
Le vendeur
Et encore vous tombez pendant les soldes. Si vous voulez du pas cher, vous allez dans le magasin à côté, vous trouverez. Mais je ne vous garantis pas le résultat. Certains de ceux qui avaient loué leur service sont aujourd’hui sous les verrous.
La cliente
Y’a un risque ?
Le vendeur
Pas chez nous. Nous existons depuis 1867 -vous avez dû voir l’enseigne dehors- et jamais un client n’a connu la moindre garde à vue. L’assistance d’un avocat était auparavant comprise dans le prix mais nous avons abandonné, nous n’en avions pas l’usage.
La cliente
Et l’arme aussi est comprise ?
Le vendeur (choqué)
Madame, nous sommes des professionnels. En général, nous avons le tact de ne pas aborder ce sujet.
La cliente
Bon ben je vais prendre alors.
Le vendeur
Croyez-moi, vous n’allez pas le regretter. Nous ferons passer ça pour un crime crapuleux. Bref, une mise en œuvre traditionnelle. Mais passons tout de suite aux choses pratiques, vous pouvez me donner le nom, l’adresse et une photo de la future victime.
La cliente
Oui, bien sûr, j’ai tout ça avec moi.
Le vendeur
Je vais prendre.
Elle sort un papier et une photo de son sac à main et le lui tend. Le vendeur regarde la photo.
Le vendeur (avec une certaine surprise)
C’est lui votre mari ?
La cliente
Oui.
Le vendeur (ennuyé)
Ah zut, c’est un peu la tuile. Ça ne va peut-être pas être possible. Nous avons un petit souci. D’ailleurs, il faudrait que je vérifie mais je crois que ce n’est jamais arrivé.
La cliente
Expliquez-vous.
Le vendeur
Il y a conflit d’intérêt. C’est vraiment trop bête. Mais je ne pouvais pas savoir. Le fait est que je n’avais pas votre photo.
La cliente
Pourquoi vous auriez eu ma photo ?
Le vendeur.
Voilà, ça date seulement d’avant-hier. Il se trouve qu’un contrat a été ouvert sur votre personne.
La cliente
Comment ça ?!
Le vendeur
Votre mari. Il est venu ici passer commande. Et vous allez rire (montrant le boxeur du doigt) il a également loué les services d’Eddy.
La cliente
Il veut se débarrasser de moi !?
Le vendeur
Ça m’en a tout l’air.
La cliente (avec rage)
Ah le salopard ! Tout ça pour filer le parfait amour avec sa pouffiasse de secrétaire !
Le vendeur
C’est très probable. Mais je ne veux surtout pas m’immiscer dans votre vie privée. Pour moi, c’est un peu gênant, vous comprenez.
La cliente
Et si je paie davantage, vous pouvez les éliminer lui et sa maîtresse, c’est possible ça ?
Le vendeur (un peu gêné)
Madame, il y a un règle que nous respectons à la lettre, il y va de la crédibilité de notre entreprise, c’est le principe d’antériorité.
La cliente
Mais je vous dis que je double la somme ! Je peux même la tripler ! Cent cinquante mille euros.
Le vendeur (d’un air choqué)
Nous sommes une maison honnête. Je suis désolé. Il faut que vous nous compreniez. D’ailleurs, ça tombe bien que vous soyez venue, nous allons tout de suite pouvoir honorer le contrat de votre mari.
La cliente (avec émotion)
Qu’entendez-vous par là ?!
Le vendeur (au boxeur)
Eddy, tu peux t’occuper de ça.
Le boxeur hoche la tête et sort une arme de son peignoir
Le vendeur (au boxeur)
S’il te plaît Eddy, plutôt dans l’arrière-boutique.
La cliente
Vous n’allez quand même pas…
Le vendeur
Je peux difficilement faire autrement. Et comme je suppose que vous avez pris bien soin de ne pas être suivie, ce serait presque une faute professionnelle de ne pas profiter de l’occasion.
La cliente
Mais je…
Le vendeur
Allons, soyez raisonnable, avancez.
La cliente (d’une voix un peu éperdue et sans souffle)
Mais je n’ai pas envie de…
Le vendeur
Ah ça, personne. En général, les gens sont plutôt rétifs… Allez Eddy, fais-nous ça bien.
Le boxeur braque l’arme dans les reins de la cliente. Elle sort, suivie du boxeur qui la pousse plus ou moins. On entend un coup de feu quelques secondes plus tard. Le vendeur décroche son téléphone sur le comptoir et compose un numéro.
Le vendeur
Allo, monsieur Bertillac, oui bonjour, c’est la maison Chauvin, voilà c’est fait, bon je vous épargne les détails mais ç’a été assez cocasse, rapide ceci dit. Par contre, ce sera une disparition. Oui, je vous en avais parlé, c’était une des options possibles. Donc plutôt une disparition. Souvent c’est ce qu’il y a de plus pratique… Maintenant, il faudra qu’on voie pour le solde. Autant ne pas laisser traîner. Avant la fin de la semaine ce serait bien. Vous pouvez passer ?... Magnifique. Nous restons à votre service … Au revoir, monsieur Bertillac…
Il raccroche.
Noir