TROC
Personnages : Le mari
La femme
Le chauffeur
Une cuisine. Table et chaises. Le mari, assis en peignoir, boit un verre de whisky en regardant sombrement le sol. Sa femme entre. Elle vient de l’extérieur et porte toujours son manteau et un sac.
La femme
Il est plus de sept heures. Je craignais de ne pas te voir de la soirée. Ça fait longtemps que tu es là ?
Le mari
Je viens de prendre une douche. Je suis arrivé, il y a à peine une heure.
La femme
Tu devrais prévenir quand tu sors comme ça. Ce matin, je me suis inquiétée en voyant que tu n’étais pas rentré. Ce n’est plus dans tes habitudes… ça n’a pas l’air d’aller ?
Le mari
Si, ça va. Ça pourrait aller mieux mais ça va.
La femme
Tu as la tête de quelqu’un qui n’a pas dormi depuis plusieurs jours.
Le mari
C’est à peu près ça. Le sommeil, je vais faire comme avec la cigarette, je vais peut-être arrêter.
La femme
Il faudrait surtout que tu arrêtes de travailler en nocturne. Ces extras derrière le comptoir du bowling, ça ne te va pas. Si seulement on avait notre propre affaire. Qu’est-ce que t’as fait après ton service ?
Le mari
Ferval est passé avec des amis à lui. Il m’a invité à venir boire un verre dans le dernier lieu qu’il a acheté. Ils se sont mis à jouer au Poker et finalement je suis rentré dans la partie.
La femme
Tu m’avais pourtant promis que tu arrêtais ça.
Le mari
Je sais.
La femme
Tu as perdu ou gagné ?
Le mari
Les deux je suppose.
La femme
Mais la balance penche de quel côté ?
Le mari
Ça n’a pas d’importance… On s’est arrangé autrement.
La femme
Ferval, c’est le genre de type à t’attirer des ennuis. Je ne sais pas pourquoi tu as accepté son invitation. D’ailleurs, c’est quoi son activité ? Il a plusieurs bars de nuit, c’est ça ?
Le mari
Entre autres. Tu sais, il ne parle jamais trop de ses affaires… Par contre, il m’a parlé de toi. Ça fait longtemps qu’il t’a rencontrée mais il s’en souvient encore. Avec lui, je crois que tu as le ticket.
La femme (posant ses mains tendrement sur ses épaules)
Il est plutôt bel homme, mais c’est toi que j’aime, petite crapule. Ecoute. Je vais te préparer un bon petit repas, ça va te remettre. Repose-toi en attendant…
Le mari
Ce n’est peut-être pas la peine de préparer quoi que ce soit pour ce soir.
La femme
Pourquoi ça ?
Le mari
Il y a quelqu’un qui va venir tout à l’heure, vers huit heures.
La femme
Un ami ?
Le mari
Tu verras.
La femme
Tu es bien mystérieux
Le mari
Ce serait bien que tu t’habilles.
La femme
Je suis habillée.
Le mari
Je veux dire, que tu te maquilles, que tu te pomponnes un peu.
La femme
Qu’est-ce que tu me caches là ?
Le mari
Tu sais quand même quel jour on est ?
La femme (avec un sourire tendre s’épanouissant sur son visage)
Évidemment que je sais. Ah tu t’en es rappelé. Je ne pensais pas que tu t’en rappellerais. Les hommes ne se souviennent jamais de ces choses-là. Toi si. Le jour anniversaire de notre première rencontre.
Le mari
J’aurais eu du mal à l’oublier. Hier, tu n’as pas cessé d’y faire allusion.
La femme (mutine)
Ah bon, tu as remarqué ?
Le mari
Toute la journée.
La femme
Je ne m’en souviens pas.
Le mari
Tu m’as parlé de ce manteau de fourrure que tu aimerais avoir. Si tu crois que je ne t’ai pas vu venir.
La femme
Et c’est pour cela que tu es parti de si mauvaise humeur.
Le mari
Ça m’a trotté dans la tête du début à la fin de mon service.
La femme
Mais ce manteau de fourrure, c’était une blague. Tu ne t’es pas mis à jouer pour ça tout de même ?
Le mari
Non, il y a une bonne part de hasard. Après tout, si Ferval n’était pas passé au bowling…
La femme (d’un ton blagueur)
Et alors, ce manteau ?
Le mari (très sombre)
La balance a penché de l’autre côté et il a été remplacé par autre chose.
La femme
Par autre chose ? Ne me titille pas comme ça, dis-moi tout.
Le mari
En fait, c’est justement en rapport avec notre première rencontre il y a cinq ans. Tu te rappelles des circonstances ?
La femme
Tu parles si je m’en rappelle. C’est comme si c’était hier. J’étais seule au comptoir de ce bar. Il était à peu près huit heures du soir et il n’y avait pas un chat sauf ce type plein aux as qui pensait qu’il pouvait m’acheter avec son pognon.
Le mari
Tu exagères.
La femme
Pas du tout. Il m’a offert un verre, il a commencé à mettre ses grosses paluches sur moi, j’ai essayé de me défendre. Il me prenait vraiment pour une pute, mais heureusement tu es arrivé. Tu lui a demandé d’arrêter, il t’a envoyé paître et là, tu lui as mis une de ces dérouillés, je pense qu’il s’en souvient encore. C’est de cette façon que tu m’as séduite.
Le mari
Eh bien tu vas sans doute m’en vouloir mais figure toi que cette histoire, je l’ai racontée à Ferval.
La femme
Ne me dis pas que tu lui as raconté ça ?
L’homme
Si. Je lui ai raconté comment ça s’était passé. Et tu vas rire, il a proposé qu’on rejoue la scène.
La femme
Comment ça, qu’on rejoue la scène ?
L’homme
Dans un de ses bars. Il va même le fermer pour l’occasion. Il veut interpréter le rôle du sale type.
La femme
Il va fermer un de ses bars pour ça ! Mais ça me gêne. Je ne pensais pas que toi et lui, vous étiez si proches.
Le mari
Il n’y a pas à être gêné. Ce n’est pas un si mauvais bougre que ça, tu sais. C’est lui qui a insisté.
La femme
C’est ridicule.
Le mari
Il n’a pas trouvé ça du tout ridicule. Au contraire. Son rêve, c’était d’être comédien. Jouer le rôle du sale type, sans rire, ça l’amuse.
La femme
Mais tu ne vas quand même pas lui casser la figure.
Le mari
Ne t’inquiète pas pour ça. C’est de la comédie. Essaye seulement d’être un peu gentille avec lui. Ferval, une fois qu’on le connaît, on se rend compte que finalement c’est un chic type.
La femme
Et comment ça va se passer ?
Le mari
Je me suis arrangé avec lui. Son chauffeur doit passer bientôt te prendre. Il t’amène au Manganao, c’est le bar en question. Et moi, j’arriverai un peu plus tard. Tu vas voir, ça va être amusant.
La femme (souriant)
Vraiment, c’est une drôle d’idée mais si tu y tiens. Donc, tu me dis que Ferval et toi, vous avez tout arrangé.
Le mari.
Tout.
La femme
Bon eh bien d’accord, je vais aller me préparer. Il n’y a vraiment que toi pour avoir de pareilles idées.
Le mari
Je sais.
Elle sort. Le mari se ressert un autre verre. Il est toujours aussi sombre. On sonne à la porte. Il sort en coulisse et réapparaît dans la cuisine avec le chauffeur.
Le mari
Vous êtes là plus tôt que prévu mais c’est pas grave. Il faudra que vous disiez à monsieur Ferval de ne pas être trop brusque avec elle.
Le chauffeur, visage sombre et inexpressif, hoche la tête.
Le mari
On s’est mis d’accord, lui et moi. Elle ne doit rien savoir. Qu’il arrive à la séduire ou pas, il éponge ma dette et on est quitte.
Le chauffeur ne dit rien. Il sort une guimbarde et se met à jouer.
Le mari
Je veux aussi que dorénavant, je sois interdit de jeu chez lui. A jamais.
Moue indifférente du chauffeur qui continue à jouer de la guimbarde.
Le mari
Vous ne pouvez pas arrêter avec votre guimbarde !
Le chauffeur range sa guimbarde avec flegme.
Le mari
Je téléphonerai plus tard au Manganao pour dire que j’ai eu un gros problème de bagnole.
Le chauffeur hoche la tête. La femme entre dans la cuisine. Elle est toute pimpante.
La femme
Ça y est, je suis prête. Finalement, cette petite mise en scène, l’air de rien, ça m’excite.
Le mari
Le chauffeur est là.
La femme (à voix basse à son mari)
Il a l’air sévère, dis.
Le mari
Je crois qu’il a ordre de ne pas parler, pour ne rien fausser. Je te souhaite une bonne soirée, ma chérie. Avant que tu partes, je voulais que tu comprennes que c’était la seule solution.
La femme
Qu’est-ce que tu racontes ?
Le mari
Non, rien.
La femme
A tout à l’heure. Pas de blague hein !
Le mari
Oui, à tout à l’heure.
La femme
Tu es fou mais c’est comme ça que je t’aime. Dépêche-toi de t’habiller. Et ne sois pas trop en retard. Sinon je serais bien capable de tomber sous le charme de ton ami Ferval. Tu sais, c’est rare que les choses se répètent deux fois de la même façon.
Elle sort avec le chauffeur. Le mari reste dans le salon. Il s’assoit. Il se sert une nouvelle rasade d’alcool. Se prend la tête dans les mains.
Noir.
Personnages : Le mari
La femme
Le chauffeur
Une cuisine. Table et chaises. Le mari, assis en peignoir, boit un verre de whisky en regardant sombrement le sol. Sa femme entre. Elle vient de l’extérieur et porte toujours son manteau et un sac.
La femme
Il est plus de sept heures. Je craignais de ne pas te voir de la soirée. Ça fait longtemps que tu es là ?
Le mari
Je viens de prendre une douche. Je suis arrivé, il y a à peine une heure.
La femme
Tu devrais prévenir quand tu sors comme ça. Ce matin, je me suis inquiétée en voyant que tu n’étais pas rentré. Ce n’est plus dans tes habitudes… ça n’a pas l’air d’aller ?
Le mari
Si, ça va. Ça pourrait aller mieux mais ça va.
La femme
Tu as la tête de quelqu’un qui n’a pas dormi depuis plusieurs jours.
Le mari
C’est à peu près ça. Le sommeil, je vais faire comme avec la cigarette, je vais peut-être arrêter.
La femme
Il faudrait surtout que tu arrêtes de travailler en nocturne. Ces extras derrière le comptoir du bowling, ça ne te va pas. Si seulement on avait notre propre affaire. Qu’est-ce que t’as fait après ton service ?
Le mari
Ferval est passé avec des amis à lui. Il m’a invité à venir boire un verre dans le dernier lieu qu’il a acheté. Ils se sont mis à jouer au Poker et finalement je suis rentré dans la partie.
La femme
Tu m’avais pourtant promis que tu arrêtais ça.
Le mari
Je sais.
La femme
Tu as perdu ou gagné ?
Le mari
Les deux je suppose.
La femme
Mais la balance penche de quel côté ?
Le mari
Ça n’a pas d’importance… On s’est arrangé autrement.
La femme
Ferval, c’est le genre de type à t’attirer des ennuis. Je ne sais pas pourquoi tu as accepté son invitation. D’ailleurs, c’est quoi son activité ? Il a plusieurs bars de nuit, c’est ça ?
Le mari
Entre autres. Tu sais, il ne parle jamais trop de ses affaires… Par contre, il m’a parlé de toi. Ça fait longtemps qu’il t’a rencontrée mais il s’en souvient encore. Avec lui, je crois que tu as le ticket.
La femme (posant ses mains tendrement sur ses épaules)
Il est plutôt bel homme, mais c’est toi que j’aime, petite crapule. Ecoute. Je vais te préparer un bon petit repas, ça va te remettre. Repose-toi en attendant…
Le mari
Ce n’est peut-être pas la peine de préparer quoi que ce soit pour ce soir.
La femme
Pourquoi ça ?
Le mari
Il y a quelqu’un qui va venir tout à l’heure, vers huit heures.
La femme
Un ami ?
Le mari
Tu verras.
La femme
Tu es bien mystérieux
Le mari
Ce serait bien que tu t’habilles.
La femme
Je suis habillée.
Le mari
Je veux dire, que tu te maquilles, que tu te pomponnes un peu.
La femme
Qu’est-ce que tu me caches là ?
Le mari
Tu sais quand même quel jour on est ?
La femme (avec un sourire tendre s’épanouissant sur son visage)
Évidemment que je sais. Ah tu t’en es rappelé. Je ne pensais pas que tu t’en rappellerais. Les hommes ne se souviennent jamais de ces choses-là. Toi si. Le jour anniversaire de notre première rencontre.
Le mari
J’aurais eu du mal à l’oublier. Hier, tu n’as pas cessé d’y faire allusion.
La femme (mutine)
Ah bon, tu as remarqué ?
Le mari
Toute la journée.
La femme
Je ne m’en souviens pas.
Le mari
Tu m’as parlé de ce manteau de fourrure que tu aimerais avoir. Si tu crois que je ne t’ai pas vu venir.
La femme
Et c’est pour cela que tu es parti de si mauvaise humeur.
Le mari
Ça m’a trotté dans la tête du début à la fin de mon service.
La femme
Mais ce manteau de fourrure, c’était une blague. Tu ne t’es pas mis à jouer pour ça tout de même ?
Le mari
Non, il y a une bonne part de hasard. Après tout, si Ferval n’était pas passé au bowling…
La femme (d’un ton blagueur)
Et alors, ce manteau ?
Le mari (très sombre)
La balance a penché de l’autre côté et il a été remplacé par autre chose.
La femme
Par autre chose ? Ne me titille pas comme ça, dis-moi tout.
Le mari
En fait, c’est justement en rapport avec notre première rencontre il y a cinq ans. Tu te rappelles des circonstances ?
La femme
Tu parles si je m’en rappelle. C’est comme si c’était hier. J’étais seule au comptoir de ce bar. Il était à peu près huit heures du soir et il n’y avait pas un chat sauf ce type plein aux as qui pensait qu’il pouvait m’acheter avec son pognon.
Le mari
Tu exagères.
La femme
Pas du tout. Il m’a offert un verre, il a commencé à mettre ses grosses paluches sur moi, j’ai essayé de me défendre. Il me prenait vraiment pour une pute, mais heureusement tu es arrivé. Tu lui a demandé d’arrêter, il t’a envoyé paître et là, tu lui as mis une de ces dérouillés, je pense qu’il s’en souvient encore. C’est de cette façon que tu m’as séduite.
Le mari
Eh bien tu vas sans doute m’en vouloir mais figure toi que cette histoire, je l’ai racontée à Ferval.
La femme
Ne me dis pas que tu lui as raconté ça ?
L’homme
Si. Je lui ai raconté comment ça s’était passé. Et tu vas rire, il a proposé qu’on rejoue la scène.
La femme
Comment ça, qu’on rejoue la scène ?
L’homme
Dans un de ses bars. Il va même le fermer pour l’occasion. Il veut interpréter le rôle du sale type.
La femme
Il va fermer un de ses bars pour ça ! Mais ça me gêne. Je ne pensais pas que toi et lui, vous étiez si proches.
Le mari
Il n’y a pas à être gêné. Ce n’est pas un si mauvais bougre que ça, tu sais. C’est lui qui a insisté.
La femme
C’est ridicule.
Le mari
Il n’a pas trouvé ça du tout ridicule. Au contraire. Son rêve, c’était d’être comédien. Jouer le rôle du sale type, sans rire, ça l’amuse.
La femme
Mais tu ne vas quand même pas lui casser la figure.
Le mari
Ne t’inquiète pas pour ça. C’est de la comédie. Essaye seulement d’être un peu gentille avec lui. Ferval, une fois qu’on le connaît, on se rend compte que finalement c’est un chic type.
La femme
Et comment ça va se passer ?
Le mari
Je me suis arrangé avec lui. Son chauffeur doit passer bientôt te prendre. Il t’amène au Manganao, c’est le bar en question. Et moi, j’arriverai un peu plus tard. Tu vas voir, ça va être amusant.
La femme (souriant)
Vraiment, c’est une drôle d’idée mais si tu y tiens. Donc, tu me dis que Ferval et toi, vous avez tout arrangé.
Le mari.
Tout.
La femme
Bon eh bien d’accord, je vais aller me préparer. Il n’y a vraiment que toi pour avoir de pareilles idées.
Le mari
Je sais.
Elle sort. Le mari se ressert un autre verre. Il est toujours aussi sombre. On sonne à la porte. Il sort en coulisse et réapparaît dans la cuisine avec le chauffeur.
Le mari
Vous êtes là plus tôt que prévu mais c’est pas grave. Il faudra que vous disiez à monsieur Ferval de ne pas être trop brusque avec elle.
Le chauffeur, visage sombre et inexpressif, hoche la tête.
Le mari
On s’est mis d’accord, lui et moi. Elle ne doit rien savoir. Qu’il arrive à la séduire ou pas, il éponge ma dette et on est quitte.
Le chauffeur ne dit rien. Il sort une guimbarde et se met à jouer.
Le mari
Je veux aussi que dorénavant, je sois interdit de jeu chez lui. A jamais.
Moue indifférente du chauffeur qui continue à jouer de la guimbarde.
Le mari
Vous ne pouvez pas arrêter avec votre guimbarde !
Le chauffeur range sa guimbarde avec flegme.
Le mari
Je téléphonerai plus tard au Manganao pour dire que j’ai eu un gros problème de bagnole.
Le chauffeur hoche la tête. La femme entre dans la cuisine. Elle est toute pimpante.
La femme
Ça y est, je suis prête. Finalement, cette petite mise en scène, l’air de rien, ça m’excite.
Le mari
Le chauffeur est là.
La femme (à voix basse à son mari)
Il a l’air sévère, dis.
Le mari
Je crois qu’il a ordre de ne pas parler, pour ne rien fausser. Je te souhaite une bonne soirée, ma chérie. Avant que tu partes, je voulais que tu comprennes que c’était la seule solution.
La femme
Qu’est-ce que tu racontes ?
Le mari
Non, rien.
La femme
A tout à l’heure. Pas de blague hein !
Le mari
Oui, à tout à l’heure.
La femme
Tu es fou mais c’est comme ça que je t’aime. Dépêche-toi de t’habiller. Et ne sois pas trop en retard. Sinon je serais bien capable de tomber sous le charme de ton ami Ferval. Tu sais, c’est rare que les choses se répètent deux fois de la même façon.
Elle sort avec le chauffeur. Le mari reste dans le salon. Il s’assoit. Il se sert une nouvelle rasade d’alcool. Se prend la tête dans les mains.
Noir.