L’ADIEU AU MUSIC-HALL
Personnages : La comédienne
Le metteur en scène
Le régisseur
Avant-scène d’une salle de spectacle désaffectée. La comédienne est debout devant un micro. Elle achève l’interprétation d’un texte -ça peut être quelques lignes d’un poème d’Arthur Cravan. Le metteur en scène est assis sur une chaise, très attentif. Le régisseur, lui, est également assis, mais plus à l’écart. (Les deux hommes ont un habillement assez similaire)
(NB : le régisseur peut se lever de sa chaise au milieu du dialogue qui va suivre et marcher lentement en suivant le périmètre rectangulaire de la scène, passant un moment derrière la comédienne, la comédienne observant parfois son évolution d’un air inquiet, la scène se concluant quand il revient à sa chaise)
Le metteur en scène (hochant la tête)
Je crois que votre engagement va pouvoir être finalisé. C’est exactement ce que nous recherchons pour notre spectacle.
La comédienne
C’est vrai, vous me prenez ?
Le metteur en scène
Oui. Vous collez parfaitement au personnage.
La comédienne
Je ne sais quoi vous dire. Je commençais vraiment à désespérer de trouver un rôle. Et dire que j’ai failli passer à côté de votre annonce. Un simple entrefilet dans un gratuit de banlieue.
Le metteur en scène
Cette discrétion, c’était voulu. La programmation est imminente. C’est un peu la raison de ce rendez-vous ici ce soir, dans cette salle désaffectée.
La comédienne (regardant autour d’elle)
J’avoue que l’heure et le lieu m’ont un peu surprise même si j’ai déjà connu ça. Mais je m’étonne surtout d’être la seule comédienne convoquée pour l’audition.
Le metteur en scène
Le calendrier est très serré. Et nous devons suivre les directives de monsieur Parkowsky, le producteur du spectacle…
La comédienne
Parkowsky, vous dites ? C’est drôle, ce nom me dit quelque chose.
Le metteur en scène
Je pensais bien que ça vous ferait réagir. Depuis quelques temps, c’est un nom qui ne laisse pas indifférent. Une publicité dont d’ailleurs il aurait préféré se passer.
La comédienne (sursautant)
J’y suis. Il y avait une demoiselle Parkowsky -une jeune danseuse je crois- parmi l’une des dernières victimes du tueur à la mandoline.
Le metteur en scène
Tout à fait. Elle s’appelait Vanessa Parkowsky… C’était sa fille.
La comédienne
Je ne voudrais pas être indiscrète.
Le metteur en scène
C’est de notoriété publique. Je ne vous cache pas que monsieur Parkowsky a du mal à surmonter ce drame. Sa seule et unique enfant. Elle avait à peu près votre âge.
La comédienne
Je me mets à sa place. On croit toujours que ça n’arrive qu’aux autres. Le pauvre homme.
Le metteur en scène
Je lui ferai part de votre marque de sympathie. Je pense qu’il y sera très sensible.
La comédienne
Heureusement que le tueur a été arrêté. Aucune femme ne sortait plus depuis plusieurs semaines. D’après ce que je sais, il s’attaquait exclusivement à des artistes de music-hall. Moi-même, ce soir, je n’aurais pas osé me présenter à notre rendez-vous.
Le metteur en scène
C’est un soulagement pour tout le monde. La culpabilité du bonhomme ne fait aucun doute même si, pour le moment, il n’est pas passé aux aveux. Monsieur Parkowsky a eu accès au dossier. C’est assez effroyable.
La comédienne
Espérons qu’il parviendra à faire son deuil.
Le metteur en scène (après un temps)
Si vous me permettez cette confidence, il n’y arrive pas. Pour lui, c’est trop douloureux… Il ne pense qu’à une chose : s’occuper lui-même du tueur.
La comédienne (air intrigué)
Qu’entend-t-il par là ?
Le metteur en scène
Lui infliger ce qu’il a infligé à sa fille. Mais pour cela, il faudrait que ce monstre ne soit plus sous les verrous.
La comédienne
Dieu merci, il va y rester. On voit mal comment il pourrait être libéré.
Le metteur en scène
Vous avez raison. Pourtant, si on le relâchait, il ne représenterait pas un grand danger pour la société.
La comédienne
Pas un grand danger, vous dites !
Le metteur en scène (après un temps)
Monsieur Parkowsky prendrait très rapidement les choses en main. Je ne donne pas cher de la peau de ce monstre.
La comédienne (hésitante)
Oui… enfin… faire justice soi-même n’est jamais la meilleure des solutions. Et la prison sert également à protéger tout homme, aussi coupable soit-il, de la vindicte populaire.
Le metteur en scène
Peut-être (NB : à partir de ce moment, le régisseur se lèvre pour faire son petit périple autour de la scène) Mais imaginez qu’alors qu’il est derrière les barreaux, d’autres crimes se produisent selon le même mode opératoire et avec des victimes ayant le même profil, cela aurait tôt fait de l’innocenter.
La comédienne (un peu mal à l’aise)
J’ai du mal à vous suivre.
Le metteur en scène
Il suffirait qu’une ou deux femmes de l’univers du music-hall meurent dans des conditions similaires et ce serait des éléments nouveaux de nature à lever les soupçons pesant sur ce monstre. Il pourrait même être rapidement libéré.
La comédienne
Ce serait là le fruit d’un invraisemblable hasard.
Le metteur en scène (très pédagogue)
C’est ce que j’ai expliqué à monsieur Parkowsky. On ne peut pas, lui ai-je dit, pour cela compter sur le hasard.
La comédienne (avec un mouvement de recul imperceptible du corps)
Où voulez-vous en venir ? Ne me dites pas que cette histoire à quelque chose à voir avec ma présence dans cette salle ce soir !
Le metteur en scène regarde pensivement le régisseur qui revient à sa chaise.
Le metteur en scène (d’une voix grave et un peu désabusée)
Qui sait. Je n’aurais peut-être pas dû vous raconter ça. Dans le fond, je suis quelqu’un de foncièrement honnête (s’adressant au régisseur) Pierre, si tu es prêt ?
Le régisseur, revenu à sa chaise, enfile des gants.
La comédienne
Pourquoi enfile-t-il des gants ?
Le metteur en scène
Parce que vous êtes engagée.
La comédienne (rêveusement, comme redécouvrant le sens du mot qu’elle prononce)
Engagée ?
Elle regarde le régisseur qui s’approche d’elle.
Le metteur en scène (sortant des gants et les enfilant lui aussi, très lentement)
Comprenez-moi : monsieur Parkowsky aimait beaucoup sa fille et il a vraiment à coeur que son assassin soit libéré.
La comédienne (regardant alternativement les deux hommes)
Ce n’est pas possible !…
Le metteur en scène
Pour lui, c’est un deuil qui ne passe pas.
La comédienne
Vous ne pouvez pas faire ça ! Ce serait un acte encore plus abominable que celui qu’a pu commettre le tueur !
Le metteur en scène
Je suis d’accord avec vous.
Le metteur en scène se met debout et rejoint le régisseur. Il sort une corde de mandoline de sa poche (pendant toute cette scène, extrême lenteur des personnages dans leur mouvement)
La comédienne
Pitié !
Le metteur en scène
Nous ne faisons qu’honorer un contrat. Par chance, le tueur à la mandoline ne fait pas souffrir ses victimes.
La comédienne (paralysée par l’effroi)
Je ne veux pas mourir !
Le metteur en scène
Nous devons le copier le mieux possible, ce n’est pas chose facile (montrant la corde) Rien qu’acheter une corde de mandoline, par les temps qui courent, c’est suspect.
La comédienne
Pitié, ne me tuez pas !
Le metteur en scène
Calmez-vous, ça va être rapide.
La comédienne (d’un ton éperdu et désespéré)
Non !
Les deux hommes entraînent la comédienne dans un coin de la pièce, la dissimulant peu à peu au public. La lumière s’amenuise. Noir.
Personnages : La comédienne
Le metteur en scène
Le régisseur
Avant-scène d’une salle de spectacle désaffectée. La comédienne est debout devant un micro. Elle achève l’interprétation d’un texte -ça peut être quelques lignes d’un poème d’Arthur Cravan. Le metteur en scène est assis sur une chaise, très attentif. Le régisseur, lui, est également assis, mais plus à l’écart. (Les deux hommes ont un habillement assez similaire)
(NB : le régisseur peut se lever de sa chaise au milieu du dialogue qui va suivre et marcher lentement en suivant le périmètre rectangulaire de la scène, passant un moment derrière la comédienne, la comédienne observant parfois son évolution d’un air inquiet, la scène se concluant quand il revient à sa chaise)
Le metteur en scène (hochant la tête)
Je crois que votre engagement va pouvoir être finalisé. C’est exactement ce que nous recherchons pour notre spectacle.
La comédienne
C’est vrai, vous me prenez ?
Le metteur en scène
Oui. Vous collez parfaitement au personnage.
La comédienne
Je ne sais quoi vous dire. Je commençais vraiment à désespérer de trouver un rôle. Et dire que j’ai failli passer à côté de votre annonce. Un simple entrefilet dans un gratuit de banlieue.
Le metteur en scène
Cette discrétion, c’était voulu. La programmation est imminente. C’est un peu la raison de ce rendez-vous ici ce soir, dans cette salle désaffectée.
La comédienne (regardant autour d’elle)
J’avoue que l’heure et le lieu m’ont un peu surprise même si j’ai déjà connu ça. Mais je m’étonne surtout d’être la seule comédienne convoquée pour l’audition.
Le metteur en scène
Le calendrier est très serré. Et nous devons suivre les directives de monsieur Parkowsky, le producteur du spectacle…
La comédienne
Parkowsky, vous dites ? C’est drôle, ce nom me dit quelque chose.
Le metteur en scène
Je pensais bien que ça vous ferait réagir. Depuis quelques temps, c’est un nom qui ne laisse pas indifférent. Une publicité dont d’ailleurs il aurait préféré se passer.
La comédienne (sursautant)
J’y suis. Il y avait une demoiselle Parkowsky -une jeune danseuse je crois- parmi l’une des dernières victimes du tueur à la mandoline.
Le metteur en scène
Tout à fait. Elle s’appelait Vanessa Parkowsky… C’était sa fille.
La comédienne
Je ne voudrais pas être indiscrète.
Le metteur en scène
C’est de notoriété publique. Je ne vous cache pas que monsieur Parkowsky a du mal à surmonter ce drame. Sa seule et unique enfant. Elle avait à peu près votre âge.
La comédienne
Je me mets à sa place. On croit toujours que ça n’arrive qu’aux autres. Le pauvre homme.
Le metteur en scène
Je lui ferai part de votre marque de sympathie. Je pense qu’il y sera très sensible.
La comédienne
Heureusement que le tueur a été arrêté. Aucune femme ne sortait plus depuis plusieurs semaines. D’après ce que je sais, il s’attaquait exclusivement à des artistes de music-hall. Moi-même, ce soir, je n’aurais pas osé me présenter à notre rendez-vous.
Le metteur en scène
C’est un soulagement pour tout le monde. La culpabilité du bonhomme ne fait aucun doute même si, pour le moment, il n’est pas passé aux aveux. Monsieur Parkowsky a eu accès au dossier. C’est assez effroyable.
La comédienne
Espérons qu’il parviendra à faire son deuil.
Le metteur en scène (après un temps)
Si vous me permettez cette confidence, il n’y arrive pas. Pour lui, c’est trop douloureux… Il ne pense qu’à une chose : s’occuper lui-même du tueur.
La comédienne (air intrigué)
Qu’entend-t-il par là ?
Le metteur en scène
Lui infliger ce qu’il a infligé à sa fille. Mais pour cela, il faudrait que ce monstre ne soit plus sous les verrous.
La comédienne
Dieu merci, il va y rester. On voit mal comment il pourrait être libéré.
Le metteur en scène
Vous avez raison. Pourtant, si on le relâchait, il ne représenterait pas un grand danger pour la société.
La comédienne
Pas un grand danger, vous dites !
Le metteur en scène (après un temps)
Monsieur Parkowsky prendrait très rapidement les choses en main. Je ne donne pas cher de la peau de ce monstre.
La comédienne (hésitante)
Oui… enfin… faire justice soi-même n’est jamais la meilleure des solutions. Et la prison sert également à protéger tout homme, aussi coupable soit-il, de la vindicte populaire.
Le metteur en scène
Peut-être (NB : à partir de ce moment, le régisseur se lèvre pour faire son petit périple autour de la scène) Mais imaginez qu’alors qu’il est derrière les barreaux, d’autres crimes se produisent selon le même mode opératoire et avec des victimes ayant le même profil, cela aurait tôt fait de l’innocenter.
La comédienne (un peu mal à l’aise)
J’ai du mal à vous suivre.
Le metteur en scène
Il suffirait qu’une ou deux femmes de l’univers du music-hall meurent dans des conditions similaires et ce serait des éléments nouveaux de nature à lever les soupçons pesant sur ce monstre. Il pourrait même être rapidement libéré.
La comédienne
Ce serait là le fruit d’un invraisemblable hasard.
Le metteur en scène (très pédagogue)
C’est ce que j’ai expliqué à monsieur Parkowsky. On ne peut pas, lui ai-je dit, pour cela compter sur le hasard.
La comédienne (avec un mouvement de recul imperceptible du corps)
Où voulez-vous en venir ? Ne me dites pas que cette histoire à quelque chose à voir avec ma présence dans cette salle ce soir !
Le metteur en scène regarde pensivement le régisseur qui revient à sa chaise.
Le metteur en scène (d’une voix grave et un peu désabusée)
Qui sait. Je n’aurais peut-être pas dû vous raconter ça. Dans le fond, je suis quelqu’un de foncièrement honnête (s’adressant au régisseur) Pierre, si tu es prêt ?
Le régisseur, revenu à sa chaise, enfile des gants.
La comédienne
Pourquoi enfile-t-il des gants ?
Le metteur en scène
Parce que vous êtes engagée.
La comédienne (rêveusement, comme redécouvrant le sens du mot qu’elle prononce)
Engagée ?
Elle regarde le régisseur qui s’approche d’elle.
Le metteur en scène (sortant des gants et les enfilant lui aussi, très lentement)
Comprenez-moi : monsieur Parkowsky aimait beaucoup sa fille et il a vraiment à coeur que son assassin soit libéré.
La comédienne (regardant alternativement les deux hommes)
Ce n’est pas possible !…
Le metteur en scène
Pour lui, c’est un deuil qui ne passe pas.
La comédienne
Vous ne pouvez pas faire ça ! Ce serait un acte encore plus abominable que celui qu’a pu commettre le tueur !
Le metteur en scène
Je suis d’accord avec vous.
Le metteur en scène se met debout et rejoint le régisseur. Il sort une corde de mandoline de sa poche (pendant toute cette scène, extrême lenteur des personnages dans leur mouvement)
La comédienne
Pitié !
Le metteur en scène
Nous ne faisons qu’honorer un contrat. Par chance, le tueur à la mandoline ne fait pas souffrir ses victimes.
La comédienne (paralysée par l’effroi)
Je ne veux pas mourir !
Le metteur en scène
Nous devons le copier le mieux possible, ce n’est pas chose facile (montrant la corde) Rien qu’acheter une corde de mandoline, par les temps qui courent, c’est suspect.
La comédienne
Pitié, ne me tuez pas !
Le metteur en scène
Calmez-vous, ça va être rapide.
La comédienne (d’un ton éperdu et désespéré)
Non !
Les deux hommes entraînent la comédienne dans un coin de la pièce, la dissimulant peu à peu au public. La lumière s’amenuise. Noir.