RIDEAU
Personnages : La femme
L’homme
Le musicien
Une femme est assise sur une chaise, sur la scène d’un vieux théâtre désaffecté. Elle paraît attendre, tout en se recoiffant devant un petit miroir sorti de son sac. Un homme arrive, marchant précautionneusement depuis le fond de la salle. Il est méfiant. Il porte un pardessus et tient un attaché-case.
L’homme (le pas hésitant mais la voix ferme)
Laura Morano ?
La femme (détournant les yeux de son miroir))
Je vois que vous connaissez le nom de mon personnage.
L’homme
Vous êtes mademoiselle Laura Morano, comédienne d’après ce que Broca m’a dit ?
La femme (avec une moue mi-figue mi-raisin)
J’essaie de faire illusion et de donner le change. C’est sans doute ça qu’on appelle jouer la comédie.
L’homme
Dehors j’ai vu les affiches. Elles semblent dater de plusieurs années.
La femme
C’est un théâtre désaffecté. Un bail qu’il y a relâche… J’imagine que c’est vous qui m’avez appelée ?
L’homme
Oui. J’ai les documents mais je crois que le cartel sait que c’est moi qui les ai volés. Si vous avez l’argent, on va pouvoir faire affaire tout de suite. Broca m’avait donné votre numéro.
La femme
Je n’ai pas pu le joindre. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
L’homme
Je n’en sais trop rien. Hier nous avions rendez-vous dans un bar du centre ville. Il voulait vérifier la valeur des documents. Mais il n’est jamais venu. Au bout d’une demi-heure, je me suis décidé à l’appeler. Ça a bien décroché mais personne au bout du fil.
La femme
Un problème de réseau ?
L’homme
Non. J’ai entendu de la musique, un air de trombone, c’était très bizarre, un peu irréel. Et j’ai cru reconnaître sa voix mais vraiment au loin. Il a dit « cette fois, c’est fini » ou un truc dans le genre, et il y a eu une détonation. Ensuite, ça a coupé.
La femme
Vous en concluez quoi ?
L’homme
On lui a peut-être réglé son compte. Il m’avait dit qu’en cas de pépin, c’est vous que je devais appeler.
La femme
J’espère que vous avez pris vos précautions. Depuis que ces documents sont dans la nature, le cartel est en pleine effervescence.
L’homme
Quand vous les aurez vus, vous comprendrez pourquoi. Mais je veux l’argent tout de suite. Je me cache depuis hier soir et, à mon avis, si je ne quitte pas le pays d’ici peu, je ne donne pas cher de ma peau.
La femme
Montrez-moi les documents.
L’homme
Je veux voir l’argent d’abord.
Le musicien entre avec un étui à musique au fond de la salle en faisant un bruit de toux. L’homme se retourne. Il sort aussitôt une arme d’une des poches de son pardessus.
L’homme (nerveusement, en pointant l’arme)
C’est qui lui là-bas ?
La femme
Calmez-vous, c’est mon partenaire. Nous répétons ici. Vous allez voir, notre spectacle est de plus en plus rodé.
L’homme
Je ne suis pas là pour ça. Mais je veux qu’il ouvre son étui à musique !
La femme
Pourquoi ?
L’homme (menaçant la femme et le musicien de façon alternative)
Je me méfie des étuis à musique. Souvent, ça cache une arme.
La femme
Vous allez trop au cinéma. Vous ne trouvez pas ça un peu démodé, une arme dans un étui à musique ?
L’homme
Je préfère être démodé que mort. Demandez lui d’ouvrir l’étui.
La femme
Pierre, ton étui.
Le musicien monte sur scène. Il s’assoit sur une autre chaise, ouvre son étui et en sort une mandoline.
La femme
Alors vous voyez, vous vous attendiez à quoi ?
L’homme (rabaissant son arme)
Excusez-moi, c’est stupide de ma part. Mais je suis sur les nerfs. J’ai l’impression que monde est en train de s’écrouler autour de moi. Quand je me suis fait approché par Broca, je ne pensais pas que ça prendrait de telles proportions.
La femme
Pierre va vous jouer quelque chose. Vous verrez, ça va tout de suite vous apaiser.
L’homme
On peut lui faire confiance ?
La femme
C’est une tombe, vous ne lui arracherez pas un mot.
Le musicien se met à jouer.
L’homme (se rassérénant un peu et avançant sur le devant de la scène, dos à la femme et au musicien)
C’est drôle de se retrouver à trois sur cette scène avec seulement ces chaises, cette table, ce pauvre décor, on se croirait en pleine représentation, dans une de ces pièces du théâtre de l’absurde.
La femme
Vous n’avez pas tort. En observant bien la salle, avec un peu d’imagination, on arrive à deviner le public.
L’homme (soufflant un peu)
Il n’y a pas que ça, il y a aussi la musique. D’ailleurs, à ce propos, c’est bizarre mais l’air que joue votre partenaire, j’ai l’impression de le connaître. Ça me parle. Peut-être une comptine d’enfance.
La femme
Chacun sa madeleine.
L’homme
Ça doit être la fatigue. Cette nuit, j’ai pris une chambre en périphérie dans un hôtel de troisième zone. J’ai à peine dormi. Après ce vol, ils ne me lâcheront jamais. J’ai l’impression d’être déjà un homme fini.
La femme range lentement son miroir à main dans son sac et en sort une arme à la place qu’elle pointe vers l’homme.
La femme (froidement)
Sur ce point, votre intuition est bonne. Vous allez tranquillement poser votre arme par terre et vous tourner vers moi.
L’homme (déstabilisé, posant son arme puis se tournant vers la femme)
Je ne comprends pas. Qu’est-ce qui vous arrive ?... Vous n’êtes pas Laura Morano ?
La femme
Je vous l’ai dit, c’est le nom de mon personnage. Regardez autour de vous, (avec une légère emphase) nous sommes au théâtre.
L’homme (désignant l’arme)
Si nous y sommes, peut-être que l’arme que vous avez en main est fausse.
La femme
C’est un théâtre désaffecté. Tout n’est pas aux normes.
L’homme (se tournant lentement vers le musicien et claquant des doigts comme s’il se rappelait de quelque chose)
Cet air, ça me revient ! (il se fige) Lorsque j’ai appelé Broca parce qu’il n’arrivait pas, je l’ai entendu, joué au trombone, juste avant les détonations... C’était le même air mais deux octaves et un quart de ton plus bas.
La femme
Quelle précision. Vous devez avoir l’oreille absolue. C’est un don très rare, vous savez.
L’homme
Qu’est-il arrivé à la vraie Laura Morano ?
La femme (d’un ton froid et ironique)
Une comédienne sur le déclin. Avec moi, vous ne perdez pas au change. Elle a toujours eu un certain goût pour les planches. Elle s’est retirée entre quatre d’entre elles… si j’ose dire.
L’homme
Vous n’êtes pas drôle.
La femme
Vous avez raison. Je suis plus à l’aise dans les rôles tragiques.
L’homme
C’est vous qui l’avez tuée ?
La femme
Pour elle, ça a été au son de l’accordéon. Pierre est multi-instrumentiste. Elle et Broca voulaient faire chanter le cartel. Ridicule. Elle n’a pas été longue à nous livrer son nom à lui. Et Broca, nous l’avons cueilli quelques heures après, juste avant votre rendez-vous. Une chance pour vous que nous ayons agi de façon aussi précipitée.
L’homme (sombrement)
Ça va changer quoi ? Les dés sont jetés… J’aurai dû tout laisser tomber et me rendre chez les flics au lieu d’appeler Broca.
La femme
En effet. Ça a signé son arrêt de mort. Grâce à l’affichage du numéro d’appel, nous avons très vite su qui était la taupe au sein du cartel. Mais vous aviez disparu dans la nature. Nous avons attendu que vous appeliez comme convenu sur le portable de Laura Morano et je me suis fait passer pour elle.
Elle pointe l’arme dans sa direction.
L’homme
Ecoutez, on peut peut-être s’arranger. Tout ne peut pas finir comme ça. Je ne me sens pas bien dans le rôle et, de toute façon, la mandoline ne pourra pas couvrir le bruit de la détonation.
La femme
Vous avez de vraies inquiétudes de metteur en scène, je trouve ça assez émouvant. Mais ne vous tracassez pas, vous tenez bien votre personnage et ce théâtre est insonorisé. Que voulez-vous, nous aimons, mon partenaire et moi, travailler en musique.
L’homme (pensif et résigné en regardant le musicien)
A sa place, je jouerais un demi-ton plus haut. Pour qu’il n’y ait pas de dissonance entre le son de la mandoline et celui de l’arme.
La femme
Vous aviez vraiment l’oreille absolue. Quel gâchis.
Elle tire. Il s’écroule. Le musicien continue à jouer.
Noir
Personnages : La femme
L’homme
Le musicien
Une femme est assise sur une chaise, sur la scène d’un vieux théâtre désaffecté. Elle paraît attendre, tout en se recoiffant devant un petit miroir sorti de son sac. Un homme arrive, marchant précautionneusement depuis le fond de la salle. Il est méfiant. Il porte un pardessus et tient un attaché-case.
L’homme (le pas hésitant mais la voix ferme)
Laura Morano ?
La femme (détournant les yeux de son miroir))
Je vois que vous connaissez le nom de mon personnage.
L’homme
Vous êtes mademoiselle Laura Morano, comédienne d’après ce que Broca m’a dit ?
La femme (avec une moue mi-figue mi-raisin)
J’essaie de faire illusion et de donner le change. C’est sans doute ça qu’on appelle jouer la comédie.
L’homme
Dehors j’ai vu les affiches. Elles semblent dater de plusieurs années.
La femme
C’est un théâtre désaffecté. Un bail qu’il y a relâche… J’imagine que c’est vous qui m’avez appelée ?
L’homme
Oui. J’ai les documents mais je crois que le cartel sait que c’est moi qui les ai volés. Si vous avez l’argent, on va pouvoir faire affaire tout de suite. Broca m’avait donné votre numéro.
La femme
Je n’ai pas pu le joindre. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
L’homme
Je n’en sais trop rien. Hier nous avions rendez-vous dans un bar du centre ville. Il voulait vérifier la valeur des documents. Mais il n’est jamais venu. Au bout d’une demi-heure, je me suis décidé à l’appeler. Ça a bien décroché mais personne au bout du fil.
La femme
Un problème de réseau ?
L’homme
Non. J’ai entendu de la musique, un air de trombone, c’était très bizarre, un peu irréel. Et j’ai cru reconnaître sa voix mais vraiment au loin. Il a dit « cette fois, c’est fini » ou un truc dans le genre, et il y a eu une détonation. Ensuite, ça a coupé.
La femme
Vous en concluez quoi ?
L’homme
On lui a peut-être réglé son compte. Il m’avait dit qu’en cas de pépin, c’est vous que je devais appeler.
La femme
J’espère que vous avez pris vos précautions. Depuis que ces documents sont dans la nature, le cartel est en pleine effervescence.
L’homme
Quand vous les aurez vus, vous comprendrez pourquoi. Mais je veux l’argent tout de suite. Je me cache depuis hier soir et, à mon avis, si je ne quitte pas le pays d’ici peu, je ne donne pas cher de ma peau.
La femme
Montrez-moi les documents.
L’homme
Je veux voir l’argent d’abord.
Le musicien entre avec un étui à musique au fond de la salle en faisant un bruit de toux. L’homme se retourne. Il sort aussitôt une arme d’une des poches de son pardessus.
L’homme (nerveusement, en pointant l’arme)
C’est qui lui là-bas ?
La femme
Calmez-vous, c’est mon partenaire. Nous répétons ici. Vous allez voir, notre spectacle est de plus en plus rodé.
L’homme
Je ne suis pas là pour ça. Mais je veux qu’il ouvre son étui à musique !
La femme
Pourquoi ?
L’homme (menaçant la femme et le musicien de façon alternative)
Je me méfie des étuis à musique. Souvent, ça cache une arme.
La femme
Vous allez trop au cinéma. Vous ne trouvez pas ça un peu démodé, une arme dans un étui à musique ?
L’homme
Je préfère être démodé que mort. Demandez lui d’ouvrir l’étui.
La femme
Pierre, ton étui.
Le musicien monte sur scène. Il s’assoit sur une autre chaise, ouvre son étui et en sort une mandoline.
La femme
Alors vous voyez, vous vous attendiez à quoi ?
L’homme (rabaissant son arme)
Excusez-moi, c’est stupide de ma part. Mais je suis sur les nerfs. J’ai l’impression que monde est en train de s’écrouler autour de moi. Quand je me suis fait approché par Broca, je ne pensais pas que ça prendrait de telles proportions.
La femme
Pierre va vous jouer quelque chose. Vous verrez, ça va tout de suite vous apaiser.
L’homme
On peut lui faire confiance ?
La femme
C’est une tombe, vous ne lui arracherez pas un mot.
Le musicien se met à jouer.
L’homme (se rassérénant un peu et avançant sur le devant de la scène, dos à la femme et au musicien)
C’est drôle de se retrouver à trois sur cette scène avec seulement ces chaises, cette table, ce pauvre décor, on se croirait en pleine représentation, dans une de ces pièces du théâtre de l’absurde.
La femme
Vous n’avez pas tort. En observant bien la salle, avec un peu d’imagination, on arrive à deviner le public.
L’homme (soufflant un peu)
Il n’y a pas que ça, il y a aussi la musique. D’ailleurs, à ce propos, c’est bizarre mais l’air que joue votre partenaire, j’ai l’impression de le connaître. Ça me parle. Peut-être une comptine d’enfance.
La femme
Chacun sa madeleine.
L’homme
Ça doit être la fatigue. Cette nuit, j’ai pris une chambre en périphérie dans un hôtel de troisième zone. J’ai à peine dormi. Après ce vol, ils ne me lâcheront jamais. J’ai l’impression d’être déjà un homme fini.
La femme range lentement son miroir à main dans son sac et en sort une arme à la place qu’elle pointe vers l’homme.
La femme (froidement)
Sur ce point, votre intuition est bonne. Vous allez tranquillement poser votre arme par terre et vous tourner vers moi.
L’homme (déstabilisé, posant son arme puis se tournant vers la femme)
Je ne comprends pas. Qu’est-ce qui vous arrive ?... Vous n’êtes pas Laura Morano ?
La femme
Je vous l’ai dit, c’est le nom de mon personnage. Regardez autour de vous, (avec une légère emphase) nous sommes au théâtre.
L’homme (désignant l’arme)
Si nous y sommes, peut-être que l’arme que vous avez en main est fausse.
La femme
C’est un théâtre désaffecté. Tout n’est pas aux normes.
L’homme (se tournant lentement vers le musicien et claquant des doigts comme s’il se rappelait de quelque chose)
Cet air, ça me revient ! (il se fige) Lorsque j’ai appelé Broca parce qu’il n’arrivait pas, je l’ai entendu, joué au trombone, juste avant les détonations... C’était le même air mais deux octaves et un quart de ton plus bas.
La femme
Quelle précision. Vous devez avoir l’oreille absolue. C’est un don très rare, vous savez.
L’homme
Qu’est-il arrivé à la vraie Laura Morano ?
La femme (d’un ton froid et ironique)
Une comédienne sur le déclin. Avec moi, vous ne perdez pas au change. Elle a toujours eu un certain goût pour les planches. Elle s’est retirée entre quatre d’entre elles… si j’ose dire.
L’homme
Vous n’êtes pas drôle.
La femme
Vous avez raison. Je suis plus à l’aise dans les rôles tragiques.
L’homme
C’est vous qui l’avez tuée ?
La femme
Pour elle, ça a été au son de l’accordéon. Pierre est multi-instrumentiste. Elle et Broca voulaient faire chanter le cartel. Ridicule. Elle n’a pas été longue à nous livrer son nom à lui. Et Broca, nous l’avons cueilli quelques heures après, juste avant votre rendez-vous. Une chance pour vous que nous ayons agi de façon aussi précipitée.
L’homme (sombrement)
Ça va changer quoi ? Les dés sont jetés… J’aurai dû tout laisser tomber et me rendre chez les flics au lieu d’appeler Broca.
La femme
En effet. Ça a signé son arrêt de mort. Grâce à l’affichage du numéro d’appel, nous avons très vite su qui était la taupe au sein du cartel. Mais vous aviez disparu dans la nature. Nous avons attendu que vous appeliez comme convenu sur le portable de Laura Morano et je me suis fait passer pour elle.
Elle pointe l’arme dans sa direction.
L’homme
Ecoutez, on peut peut-être s’arranger. Tout ne peut pas finir comme ça. Je ne me sens pas bien dans le rôle et, de toute façon, la mandoline ne pourra pas couvrir le bruit de la détonation.
La femme
Vous avez de vraies inquiétudes de metteur en scène, je trouve ça assez émouvant. Mais ne vous tracassez pas, vous tenez bien votre personnage et ce théâtre est insonorisé. Que voulez-vous, nous aimons, mon partenaire et moi, travailler en musique.
L’homme (pensif et résigné en regardant le musicien)
A sa place, je jouerais un demi-ton plus haut. Pour qu’il n’y ait pas de dissonance entre le son de la mandoline et celui de l’arme.
La femme
Vous aviez vraiment l’oreille absolue. Quel gâchis.
Elle tire. Il s’écroule. Le musicien continue à jouer.
Noir