EXECUTION
Personnages : La femme
La voix
Le prisonnier
Noir. Un projecteur s’allume sur une femme. Ce projecteur ne cessera de la suivre durant toute la scène. La femme a un panier à la main. Elle avance vers le centre de la scène dans ce qui semble être un lieu clos et isolé. Elle tombe tout à coup sur un homme agenouillé au sol (qui, du coup, se trouve également dans le rayon mobile du projecteur). Il est bâillonné, poignets et chevilles liés dans le dos. Il a le visage gris et résigné. Une pelle gît à ses côtés. La femme a un mouvement de recul en le découvrant et réprime tant bien que mal un cri. Après un instant d’émoi et de frayeur, elle se rapproche de lui.
La femme (d’une voix tendue)
Qui êtes-vous ? ! Que faites-vous là ?!
Le prisonnier (cherchant à parler mais ne le pouvant à cause du bâillon)
Hmmm…
La femme (craintive et méfiante)
Pourquoi vous a-t-on attaché ?… Qu’est-ce que ça veut dire !…
Le prisonnier
Hmmm…
La femme hésite, immobile. Alors qu’elle va pour se pencher vers lui et le débâillonner, une voix retentit dans l’obscurité.
La voix (qui semble parler d’où vient la lumière du projecteur)
Ne le délivrez pas !
Nouveau sursaut effrayé de la femme qui se redresse brutalement et se sent observée.
La femme (regardant autour d’elle comme si elle scrutait la pénombre)
Qui est là ? Où êtes-vous ?
La voix
Ecartez-vous de lui !
La femme respire fortement. Un temps.
La femme (regardant dans la direction du projecteur)
C’est vous qui avez attaché cet homme ?
La voix
C’est moi, oui.
La femme
Pourquoi ?
La voix
A votre avis ? La situation me semble sans ambiguïté, non ?
La femme
Ça ressemble aux préliminaires d’une exécution. Dites-moi que ce n’est pas ça.
La voix
Mes commanditaires considèrent qu’il leur a causé du tort. Mais il n’était pas prévu que quelqu’un me surprenne ici en plein travail. Par où êtes-vous entrée ?
La femme
Il y a un mur effondré près de la voie ferrée. Je cueillais des champignons et je m’en suis rappelée. C’est une usine désaffectée où je venais jouer lorsque j’étais enfant.
La voix
C’est dommage. Il se trouve que vous tombez au plus mauvais moment.
La femme
Je vais partir. Faites comme si je n’étais jamais passée.
La voix
Cela me paraît difficile. Le peu que vous avez vu, c’est déjà trop.
La femme
Mais je n’ai rien vu et j’oublie tout très vite.
La voix
Quand vous vous sentirez en sécurité, votre mémoire réalisera des prodiges. Vous ne pourrez vous empêcher de tout raconter. C’est un phénomène courant ne reposant -et c’est là le plus curieux- sur aucune nécessité vitale.
La femme
Je vous assure que, même loin d’ici, ce que j’ai vu, je le tairai. Vous avez ma parole.
La voix
Je ne mets pas votre parole en doute. Dans ces moments-là, en général, toute personne sensée croit sincèrement à ce qu’elle dit.
La femme
Qu’allez-vous faire de moi ?
La voix
J’aimerais être certain de votre silence.
La femme
Vous n’allez pas moi aussi m’éliminer ?!
La voix
Si tel était le cas, ce serait déjà fait. En réalité, vous faire disparaître me poserait plus de problème que de m’assurer de votre discrétion. C’est pourquoi je songe à une solution qui, d’une certaine manière, vous incitera au silence.
La femme
Dites-moi laquelle. Je suis prête à tout entendre.
La voix
Pour que nous soyons sur un pied d’égalité, il est préférable que l’idée vienne de vous.
La femme
L’idée de la solution ?
La voix
Oui, si elle vient de vous, vous vous sentirez plus impliquée.
La femme
Je ne vois pas ce que je peux proposer.
La voix
Réfléchissez.
La femme
C’est en rapport avec cet homme ?
La voix
En effet.
La femme
Je ne le connais pas.
La voix
C’est préférable.
La femme
Je serais amenée à faire quelque chose à son encontre ?
La voix (ironique)
Bravo. Vous brûlez.
La femme
J’ai peur de comprendre. Vous voulez que je… que…
La voix
Oui, allez jusqu’au bout de votre pensée.
La femme
…Que ce soit moi qui… l’exécute ?
La voix
C’est exactement ça.
La femme
C’est absurde.
La voix
Justement.
La femme
Mais je pourrais toujours prétendre avoir dû le faire contrainte et forcée.
La voix
La psychologie humaine fonctionne différemment. N’étant pas en situation, les personnes à qui vous le raconteriez ne comprendraient pas -et ça, vous le savez. Obéir à une simple voix, n’est-ce pas ridicule ?
La femme
Je suis incapable de faire une telle chose.
La voix
Ne vous mésestimez pas. Ayez confiance en vous.
La femme
Cela va à l’encontre de toutes les valeurs auxquelles je crois.
La voix
Les cimetières sont remplis de gens qui n’ont pas su composer avec leurs valeurs.
Un temps
La femme
Mais d’un point de vue pratique, je m’y prends comment ?
La voix
On commence enfin à parler sérieusement. Il se trouve que notre ami avait sur lui une arme. Il a voulu s’en servir alors que je le détachais pour qu’il creuse.
La femme
Pourtant, il est pieds et poings liés.
La voix
Oui, suite à son initiative, j’ai décidé de faire moi-même le trou. Je voulais éviter qu’il ne me fausse compagnie. C’est à ce moment-là que je vous ai entendue venir.
La femme
Pourquoi vous me dites ça ?
La voix
L’arme dont je vous parle est par terre, sur votre droite. Prenez-la.
Elle s’écarte un peu sur la droite, ainsi que le projecteur. Il y a en effet une arme au sol (que le public ne peut voir). Elle hésite un moment, se baisse doucement et la prend.
La femme (regardant l’arme dans sa main comme un objet étranger)
Je n’y arriverai pas.
La voix
En ramassant cette arme, vous venez de parcourir la moitié du chemin.
La femme
Je n’y arriverai pas.
La voix
Techniquement, c’est peu de chose. Vous la pointez dans sa direction et vous appuyez sur la détente. Vous pouvez le faire en fermant les yeux si ça vous aide.
La femme
J’étais partie pour cueillir des champignons, pas pour exécuter un homme.
La voix
Vous aurez tout loisir de poursuivre votre cueillette après. Par contre, si vous ne répondez pas à mon attente, la cueillette va s’en trouver compromise… Je vous laisse faire.
Un temps. La femme regarde l’arme dans sa main et le prisonnier. Elle s’approche du prisonnier. Le prisonnier la regarde, les yeux exorbités, d’un regard suppliant en secouant négativement la tête.
Le prisonnier
Humm….
La femme (à moitié en sanglot)
Je suis désolée. Je n’ai pas le choix.
Elle hésite un moment, la main tremblante. Elle pointe l’arme, ferme les yeux, détourne la tête. Violente détonation. Le prisonnier bascule sur le côté. La femme lâche l’arme. Pendant un moment, elle ne dit rien, en sanglot.
La femme (levant la tête vers le projecteur, à moitié en sanglots nerveux)
Voilà qui est fait.
Pas de réponse. Elle tourne la tête à droite puis à gauche.
La femme
C’est fait, j’ai dit.
Pas de réponse.
La femme
Pourquoi vous ne répondez pas ?
Pas de réponse
La femme
Où êtes-vous ?
Un temps. Elle tourne la tête à gauche, puis à droite. Elle regarde le prisonnier puis la pelle. Elle semble réfléchir. Elle se penche vers la pelle, la ramasse, s’approche du prisonnier mort et se met à creuser à côté. La lumière du projecteur s’amenuise. Bruit de pelletés et sanglots.
Noir.
Personnages : La femme
La voix
Le prisonnier
Noir. Un projecteur s’allume sur une femme. Ce projecteur ne cessera de la suivre durant toute la scène. La femme a un panier à la main. Elle avance vers le centre de la scène dans ce qui semble être un lieu clos et isolé. Elle tombe tout à coup sur un homme agenouillé au sol (qui, du coup, se trouve également dans le rayon mobile du projecteur). Il est bâillonné, poignets et chevilles liés dans le dos. Il a le visage gris et résigné. Une pelle gît à ses côtés. La femme a un mouvement de recul en le découvrant et réprime tant bien que mal un cri. Après un instant d’émoi et de frayeur, elle se rapproche de lui.
La femme (d’une voix tendue)
Qui êtes-vous ? ! Que faites-vous là ?!
Le prisonnier (cherchant à parler mais ne le pouvant à cause du bâillon)
Hmmm…
La femme (craintive et méfiante)
Pourquoi vous a-t-on attaché ?… Qu’est-ce que ça veut dire !…
Le prisonnier
Hmmm…
La femme hésite, immobile. Alors qu’elle va pour se pencher vers lui et le débâillonner, une voix retentit dans l’obscurité.
La voix (qui semble parler d’où vient la lumière du projecteur)
Ne le délivrez pas !
Nouveau sursaut effrayé de la femme qui se redresse brutalement et se sent observée.
La femme (regardant autour d’elle comme si elle scrutait la pénombre)
Qui est là ? Où êtes-vous ?
La voix
Ecartez-vous de lui !
La femme respire fortement. Un temps.
La femme (regardant dans la direction du projecteur)
C’est vous qui avez attaché cet homme ?
La voix
C’est moi, oui.
La femme
Pourquoi ?
La voix
A votre avis ? La situation me semble sans ambiguïté, non ?
La femme
Ça ressemble aux préliminaires d’une exécution. Dites-moi que ce n’est pas ça.
La voix
Mes commanditaires considèrent qu’il leur a causé du tort. Mais il n’était pas prévu que quelqu’un me surprenne ici en plein travail. Par où êtes-vous entrée ?
La femme
Il y a un mur effondré près de la voie ferrée. Je cueillais des champignons et je m’en suis rappelée. C’est une usine désaffectée où je venais jouer lorsque j’étais enfant.
La voix
C’est dommage. Il se trouve que vous tombez au plus mauvais moment.
La femme
Je vais partir. Faites comme si je n’étais jamais passée.
La voix
Cela me paraît difficile. Le peu que vous avez vu, c’est déjà trop.
La femme
Mais je n’ai rien vu et j’oublie tout très vite.
La voix
Quand vous vous sentirez en sécurité, votre mémoire réalisera des prodiges. Vous ne pourrez vous empêcher de tout raconter. C’est un phénomène courant ne reposant -et c’est là le plus curieux- sur aucune nécessité vitale.
La femme
Je vous assure que, même loin d’ici, ce que j’ai vu, je le tairai. Vous avez ma parole.
La voix
Je ne mets pas votre parole en doute. Dans ces moments-là, en général, toute personne sensée croit sincèrement à ce qu’elle dit.
La femme
Qu’allez-vous faire de moi ?
La voix
J’aimerais être certain de votre silence.
La femme
Vous n’allez pas moi aussi m’éliminer ?!
La voix
Si tel était le cas, ce serait déjà fait. En réalité, vous faire disparaître me poserait plus de problème que de m’assurer de votre discrétion. C’est pourquoi je songe à une solution qui, d’une certaine manière, vous incitera au silence.
La femme
Dites-moi laquelle. Je suis prête à tout entendre.
La voix
Pour que nous soyons sur un pied d’égalité, il est préférable que l’idée vienne de vous.
La femme
L’idée de la solution ?
La voix
Oui, si elle vient de vous, vous vous sentirez plus impliquée.
La femme
Je ne vois pas ce que je peux proposer.
La voix
Réfléchissez.
La femme
C’est en rapport avec cet homme ?
La voix
En effet.
La femme
Je ne le connais pas.
La voix
C’est préférable.
La femme
Je serais amenée à faire quelque chose à son encontre ?
La voix (ironique)
Bravo. Vous brûlez.
La femme
J’ai peur de comprendre. Vous voulez que je… que…
La voix
Oui, allez jusqu’au bout de votre pensée.
La femme
…Que ce soit moi qui… l’exécute ?
La voix
C’est exactement ça.
La femme
C’est absurde.
La voix
Justement.
La femme
Mais je pourrais toujours prétendre avoir dû le faire contrainte et forcée.
La voix
La psychologie humaine fonctionne différemment. N’étant pas en situation, les personnes à qui vous le raconteriez ne comprendraient pas -et ça, vous le savez. Obéir à une simple voix, n’est-ce pas ridicule ?
La femme
Je suis incapable de faire une telle chose.
La voix
Ne vous mésestimez pas. Ayez confiance en vous.
La femme
Cela va à l’encontre de toutes les valeurs auxquelles je crois.
La voix
Les cimetières sont remplis de gens qui n’ont pas su composer avec leurs valeurs.
Un temps
La femme
Mais d’un point de vue pratique, je m’y prends comment ?
La voix
On commence enfin à parler sérieusement. Il se trouve que notre ami avait sur lui une arme. Il a voulu s’en servir alors que je le détachais pour qu’il creuse.
La femme
Pourtant, il est pieds et poings liés.
La voix
Oui, suite à son initiative, j’ai décidé de faire moi-même le trou. Je voulais éviter qu’il ne me fausse compagnie. C’est à ce moment-là que je vous ai entendue venir.
La femme
Pourquoi vous me dites ça ?
La voix
L’arme dont je vous parle est par terre, sur votre droite. Prenez-la.
Elle s’écarte un peu sur la droite, ainsi que le projecteur. Il y a en effet une arme au sol (que le public ne peut voir). Elle hésite un moment, se baisse doucement et la prend.
La femme (regardant l’arme dans sa main comme un objet étranger)
Je n’y arriverai pas.
La voix
En ramassant cette arme, vous venez de parcourir la moitié du chemin.
La femme
Je n’y arriverai pas.
La voix
Techniquement, c’est peu de chose. Vous la pointez dans sa direction et vous appuyez sur la détente. Vous pouvez le faire en fermant les yeux si ça vous aide.
La femme
J’étais partie pour cueillir des champignons, pas pour exécuter un homme.
La voix
Vous aurez tout loisir de poursuivre votre cueillette après. Par contre, si vous ne répondez pas à mon attente, la cueillette va s’en trouver compromise… Je vous laisse faire.
Un temps. La femme regarde l’arme dans sa main et le prisonnier. Elle s’approche du prisonnier. Le prisonnier la regarde, les yeux exorbités, d’un regard suppliant en secouant négativement la tête.
Le prisonnier
Humm….
La femme (à moitié en sanglot)
Je suis désolée. Je n’ai pas le choix.
Elle hésite un moment, la main tremblante. Elle pointe l’arme, ferme les yeux, détourne la tête. Violente détonation. Le prisonnier bascule sur le côté. La femme lâche l’arme. Pendant un moment, elle ne dit rien, en sanglot.
La femme (levant la tête vers le projecteur, à moitié en sanglots nerveux)
Voilà qui est fait.
Pas de réponse. Elle tourne la tête à droite puis à gauche.
La femme
C’est fait, j’ai dit.
Pas de réponse.
La femme
Pourquoi vous ne répondez pas ?
Pas de réponse
La femme
Où êtes-vous ?
Un temps. Elle tourne la tête à gauche, puis à droite. Elle regarde le prisonnier puis la pelle. Elle semble réfléchir. Elle se penche vers la pelle, la ramasse, s’approche du prisonnier mort et se met à creuser à côté. La lumière du projecteur s’amenuise. Bruit de pelletés et sanglots.
Noir.