HONNEUR DE LA POLICE
Personnages : La commissaire
Le prévenu
L’adjoint
Un bureau avec une lampe articulée. Quelques chaises. Mobilier froid et fonctionnel. La commissaire est debout, moitié assise sur son bureau de profil. Elle semble visionner un camescope en regardant l’écran latéral.
La commissaire
Eh merde.
Elle revient derrière son bureau, s’assoit, enferme le camescope dans l’un de ses tiroirs. Puis elle décroche son téléphone et parle directement.
La commissaire
Bon, il a assez mariné. Faites le rentrer. Mais pas la peine qu’on soit tous là. Un seul avec lui.
Le prévenu entre, poussé par l’adjoint, flic un peu borderline, qui a des baguettes de batterie dans la main droite et qui lui tape par petits coups sur la tête pour le faire avancer (Nb : pendant toute la scène, l’adjoint peut jouer en sourdine avec ses baguettes, l’un contre l’autre ou sur le bureau, la chaise…à voir) Le prévenu essaie vaguement de se protéger. L’adjoint le fait s’asseoir sur une chaise devant le bureau. Une lampe articulée lui est braquée sur le visage. L’adjoint donne à sa chef un portefeuille qu’il avait dans une poche et s’assoit sur un coin de bureau.
La commissaire (tirant une carte du portefeuille du prévenu et lisant)
Vous vous appelez Philippe Languille.
Le prévenu (plutôt obséquieux)
C’est exact, madame la commissaire. C’est donc vous la patronne ? Je m’en doutais.
L’adjoint lui tape sur la tête. Le prévenu se protège.
Le prévenu
Aïe.
La commissaire
J’espère que mes hommes n’ont pas été trop brutaux avec vous.
Le prévenu
Ils ne font que leur métier, madame la commissaire... D’un autre côté, ils ne pouvaient pas savoir.
La commissaire
Quoi donc ?
Le prévenu
Eh bien, que j’étais aussi du métier.
La commissaire
C’est-à-dire ?
Le prévenu (se redressant fièrement)
J’exerce la profession d’agent de sécurité.
La commissaire
Vous faisiez partie du service d’ordre ?
Le prévenu
Pour ça non ! Rien à voir avec eux. Je ne suis pas du tout de ce bord-là.
La commissaire
Je vous écoute.
Le prévenu
D’abord, madame la commissaire, il faut que je vous dise une chose : quand je tombe sur une manif, quelles que soient les circonstances, je suis toujours du côté de la police, toujours ! Chez moi, c’est plus fort que tout, l’instinct !
La commissaire (murmurant pour elle-même, comme si elle se rendait compte du genre d’olibrius devant elle)
D’accord.
Le prévenu
Imaginez une seule seconde que je ne sois pas intervenu, demain vous faisiez la une des journaux. Mais vous savez, je n’en tire nulle gloire. L’esprit de corps.
La commissaire
Si je comprends bien, vous étiez là par hasard ?
Le prévenu
Pas complètement. L’événement avait été suffisamment annoncé. Tout cet attroupement avec la bande de provocateurs habituels. Je me doutais bien que ça allait dégénérer après la dislocation du cortège. Alors, je me suis dit que peut-être je pourrais donner un coup de main à vos gars, au cas où. Ca s’est fait bêtement et je crois que n’importe quel honnête citoyen aurait agi de la même façon. Mon comportement n’a eu là rien d’exceptionnel.
La commissaire
Parlez-moi de la matraque télescopique.
Le prévenu
Surplus de la police. Je l’ai un peu renforcée, c’est vrai. Peut-être pas très réglementaire mais sacrément efficace, non ?
La commissaire
C’est une façon de voir.
Le prévenu
Ils me font bien rire. Ils parlent droits de l’Homme. Ah ça ! quand il s’agit de foutre le bordel, les premiers à beugler ! Ils ne sont tenus, c’est une théorie personnelle, par aucun lien avec la société. La plupart n’ont aucune attache, vous savez. Je vais vous faire rire mais d’une certaine manière, ils sont invisibles, réellement. Ca tient à leur manque de structure. Pas d’organisation, pas de structures, rien.
La commissaire
Donc, vous nous aviez repérés ?
Le prévenu
Oui, vous étiez quatre en train de tabasser le gosse. Désolé, pas d’offense hein, même en civil, je vous reconnais, le flair. C’est vrai que le coin était discret et j’imagine que vous vouliez vous défouler un peu, ce que je comprends parfaitement du reste, vous savez, à force d’être provoqué, insulté, il arrive un moment où, comme on dit, la coupe est pleine. En tout cas, le môme n’en menait pas large. Il avait dû sacrément vous provoquer, dites, pour vous mettre dans une fureur pareille ?
La commissaire
La soirée a été rude. Continuez.
Le prévenu
Je m’apprêtais à aller vous donner un coup de main quand j’ai repéré ce type avec son caméscope. Une sacrée veine car il était bien planqué, le salopard. Il n’arrêtait pas de vous zoomer. Vous n’auriez jamais dû faire ça à la lumière.
L’adjoint (en tapant avec une baguette sur la tête du prévenu)
C’est vrai, jamais à la lumière.
Le prévenu
Aïe.
La commissaire
Capitaine, laissez-moi mener à bien l’interrogatoire !
Le prévenu
Mais il a raison, il devrait le dire à tous vos gars, jamais à la lumière, jamais !
La commissaire
Bien sûr… la suite.
Le prévenu
Il vous filmait sans en perdre une miette. Un de ces fouille-merde gauchiste ne reculant devant aucune ignominie, pas même celle de ternir l’image de notre police. Alors, dans une espèce de pulsion morale, de sursaut civique, j’ai décidé d’intervenir. Je suis arrivé à sa hauteur et, d’un coup de matraque, je l’ai assommé net.
La commissaire
Un seul coup ?
Le prévenu
Peut-être deux ou trois. Il méritait bien une petite leçon, pensez pas, madame la commissaire ? Mon but était de récupérer le caméscope, caméscope que je suis allé vous porter. Non pas que j’attende une quelconque récompense, mais quand les circonstances l’exigent, je sais me mettre à la disposition des autorités et servir.
La commissaire
Vous êtes-vous rendu compte quand le type s’est effondré que vous l’aviez tué ?
Le prévenu
Un regrettable accident, je suis d’accord avec vous. Pourtant j’ai plutôt l’habitude, mais dans la pénombre, parfois. D’ailleurs, à bien y réfléchir, n’y aurait-il pas là comme une forme de légitime défense ?
La commissaire (ironique)
Ma foi, si on n’avait pas tout le temps les journalistes sur le dos, beaucoup de choses pourraient être reconsidérées.
Le prévenu (adhérant complètement)
Bien vrai ça. Je lis assez la presse pour le savoir. Cette façon qu’ils ont de dénaturer les faits. On a l’impression parfois que ces types-là cherchent plus à semer la pagaille qu’autre chose. D’ailleurs, je pense que tous ceux comme nous qui travaillons dans la sécurité, nous pourrions nous épauler, nous serrer les coudes.
La commissaire (avec un vague hochement de tête dubitatif)
Hum.
Le prévenu
Je suis du métier, alors les bruits qui courent sur certaines histoires plus ou moins étouffées, pensez si je connais. Je vais vous paraître un peu naïf en la matière mais je suppose que vous avez quelques trucs pour classer l’affaire, bon évidemment, vous ne pouvez pas tout dire, mais chez vous, classique non ?
La commissaire
Monsieur Languille, vous nous prêtez plus de pouvoir que nous n’en avons.
Le prévenu
En fait, le seul souci -car ne croyez pas que je n’y ai pas songé- c’est le môme. Il faudrait le convaincre de se taire.
La commissaire
Je comprends votre inquiétude concernant l’adolescent et je peux vous rassurer, il ne dira rien. C’est un garçon raisonnable.
Le prévenu
Tant mieux, tant mieux.
La commissaire
Mais nous avons quand même un cadavre sur les bras et nous vous avons appréhendé à proximité avec l’arme du crime. Si encore un CRS n’avait pas retrouvé votre matraque par terre (geste d’impuissance de la commissaire)
Le prévenu
Cette bonne blague ! Mon action n’avait pour but que de récupérer le caméscope.
La commissaire (froidement)
Monsieur Languille, écoutez-moi bien : il n’y a jamais eu de caméscope.
Le prévenu
Jamais eu, vous dites ?!!
La commissaire
Réfléchissez : évoquer cet appareil, ce serait aller à l’encontre du but que vous recherchiez. Vous seriez obligé d’étaler sur la place publique les raisons de votre geste.
Le prévenu
Ah, je comprends, vous voulez élaborer un scénario, c’est ça ? Tout de suite se mettre en situation, dans l’ambiance. Mais oui, je crois qu’il faut que, vous et moi, nous élaborions une espèce d’histoire. Alors, bon d’accord, ne pas parler du caméscope, encore moins évidemment de ce môme que vous tabassiez.
La commissaire
Voilà, vous êtes en bonne voie.
Le prévenu
Je lis parfois quelques polars et je ne suis pas dépourvu d’imagination, ça aide. Donc, on crée une espèce de flou, un mystère autour de ce crime. On dira par exemple que j’avais entendu un cri, je suis arrivé sur les lieux et, en tant qu’agent de sécurité -casier judiciaire vierge, j’ai même failli être assermenté- je me suis porté tout de suite au secours de la victime.
La commissaire
Très bien, monsieur Languille, mais pour que le scénario tienne, il vaut mieux que nous n’en sachions rien. Elaborez-le seul, faites jouer, comme vous dites, votre imagination. Bien sûr, vous aurez droit à un avocat. Sachez que vous avez notre soutien même si, vous le comprendrez aisément, il nous est impossible de l’exprimer publiquement.
L’adjoint (en lui refrappant avec ses baguettes sur la tête)
Et si tu fais de la taule, dis-toi que ça fera partie du scénario.
Le prévenu (se protégeant la tête)
Aïe !… Madame, je n’apprécie pas du tout les réflexions de votre collègue. Je veux bien collaborer mais...
La commissaire
Monsieur Languille, je vais être franche avec vous : il faut que vous compreniez que dans le monde où nous vivons, un monde où l’individualisme et l’égoïsme sont devenus la norme, votre acte désintéressé a, j’en ai bien peur, peu de chance de paraître crédible. Il est d’anciennes valeurs auxquelles notre société n’adhère plus et, croyez bien que je le regrette. Je considère votre intervention comme un acte politique au sens le plus noble du terme et je ne désespère pas d’assister un jour dans ce pays, grâce à des hommes tels que vous, à une renaissance de l’esprit civique.
Le prévenu
Je... je crois n’avoir fait que mon devoir.
La commissaire
Mais tout à fait, monsieur Languille, tout à fait. Seulement, qui pourrait réellement croire que vous aviez pour seul but de protéger l’image de la police ? Non, très franchement, ne faites aucune allusion à cela, c’est malheureux à dire mais vous ne seriez pas compris. Nous allons vous déférer auprès du juge d’instruction chargé de l’enquête. Nous sommes à vos côtés, monsieur Languille. N’oubliez pas que tout le corps de la police, tous les amis de l’ordre, tous ceux pour qui la loi et la justice ont encore un sens dans ce pays, ont les yeux tournés vers vous. Ils comptent sur votre discrétion et votre sens du sacrifice. Faites-leur cet honneur, ne les décevez pas.
Noir.
Personnages : La commissaire
Le prévenu
L’adjoint
Un bureau avec une lampe articulée. Quelques chaises. Mobilier froid et fonctionnel. La commissaire est debout, moitié assise sur son bureau de profil. Elle semble visionner un camescope en regardant l’écran latéral.
La commissaire
Eh merde.
Elle revient derrière son bureau, s’assoit, enferme le camescope dans l’un de ses tiroirs. Puis elle décroche son téléphone et parle directement.
La commissaire
Bon, il a assez mariné. Faites le rentrer. Mais pas la peine qu’on soit tous là. Un seul avec lui.
Le prévenu entre, poussé par l’adjoint, flic un peu borderline, qui a des baguettes de batterie dans la main droite et qui lui tape par petits coups sur la tête pour le faire avancer (Nb : pendant toute la scène, l’adjoint peut jouer en sourdine avec ses baguettes, l’un contre l’autre ou sur le bureau, la chaise…à voir) Le prévenu essaie vaguement de se protéger. L’adjoint le fait s’asseoir sur une chaise devant le bureau. Une lampe articulée lui est braquée sur le visage. L’adjoint donne à sa chef un portefeuille qu’il avait dans une poche et s’assoit sur un coin de bureau.
La commissaire (tirant une carte du portefeuille du prévenu et lisant)
Vous vous appelez Philippe Languille.
Le prévenu (plutôt obséquieux)
C’est exact, madame la commissaire. C’est donc vous la patronne ? Je m’en doutais.
L’adjoint lui tape sur la tête. Le prévenu se protège.
Le prévenu
Aïe.
La commissaire
J’espère que mes hommes n’ont pas été trop brutaux avec vous.
Le prévenu
Ils ne font que leur métier, madame la commissaire... D’un autre côté, ils ne pouvaient pas savoir.
La commissaire
Quoi donc ?
Le prévenu
Eh bien, que j’étais aussi du métier.
La commissaire
C’est-à-dire ?
Le prévenu (se redressant fièrement)
J’exerce la profession d’agent de sécurité.
La commissaire
Vous faisiez partie du service d’ordre ?
Le prévenu
Pour ça non ! Rien à voir avec eux. Je ne suis pas du tout de ce bord-là.
La commissaire
Je vous écoute.
Le prévenu
D’abord, madame la commissaire, il faut que je vous dise une chose : quand je tombe sur une manif, quelles que soient les circonstances, je suis toujours du côté de la police, toujours ! Chez moi, c’est plus fort que tout, l’instinct !
La commissaire (murmurant pour elle-même, comme si elle se rendait compte du genre d’olibrius devant elle)
D’accord.
Le prévenu
Imaginez une seule seconde que je ne sois pas intervenu, demain vous faisiez la une des journaux. Mais vous savez, je n’en tire nulle gloire. L’esprit de corps.
La commissaire
Si je comprends bien, vous étiez là par hasard ?
Le prévenu
Pas complètement. L’événement avait été suffisamment annoncé. Tout cet attroupement avec la bande de provocateurs habituels. Je me doutais bien que ça allait dégénérer après la dislocation du cortège. Alors, je me suis dit que peut-être je pourrais donner un coup de main à vos gars, au cas où. Ca s’est fait bêtement et je crois que n’importe quel honnête citoyen aurait agi de la même façon. Mon comportement n’a eu là rien d’exceptionnel.
La commissaire
Parlez-moi de la matraque télescopique.
Le prévenu
Surplus de la police. Je l’ai un peu renforcée, c’est vrai. Peut-être pas très réglementaire mais sacrément efficace, non ?
La commissaire
C’est une façon de voir.
Le prévenu
Ils me font bien rire. Ils parlent droits de l’Homme. Ah ça ! quand il s’agit de foutre le bordel, les premiers à beugler ! Ils ne sont tenus, c’est une théorie personnelle, par aucun lien avec la société. La plupart n’ont aucune attache, vous savez. Je vais vous faire rire mais d’une certaine manière, ils sont invisibles, réellement. Ca tient à leur manque de structure. Pas d’organisation, pas de structures, rien.
La commissaire
Donc, vous nous aviez repérés ?
Le prévenu
Oui, vous étiez quatre en train de tabasser le gosse. Désolé, pas d’offense hein, même en civil, je vous reconnais, le flair. C’est vrai que le coin était discret et j’imagine que vous vouliez vous défouler un peu, ce que je comprends parfaitement du reste, vous savez, à force d’être provoqué, insulté, il arrive un moment où, comme on dit, la coupe est pleine. En tout cas, le môme n’en menait pas large. Il avait dû sacrément vous provoquer, dites, pour vous mettre dans une fureur pareille ?
La commissaire
La soirée a été rude. Continuez.
Le prévenu
Je m’apprêtais à aller vous donner un coup de main quand j’ai repéré ce type avec son caméscope. Une sacrée veine car il était bien planqué, le salopard. Il n’arrêtait pas de vous zoomer. Vous n’auriez jamais dû faire ça à la lumière.
L’adjoint (en tapant avec une baguette sur la tête du prévenu)
C’est vrai, jamais à la lumière.
Le prévenu
Aïe.
La commissaire
Capitaine, laissez-moi mener à bien l’interrogatoire !
Le prévenu
Mais il a raison, il devrait le dire à tous vos gars, jamais à la lumière, jamais !
La commissaire
Bien sûr… la suite.
Le prévenu
Il vous filmait sans en perdre une miette. Un de ces fouille-merde gauchiste ne reculant devant aucune ignominie, pas même celle de ternir l’image de notre police. Alors, dans une espèce de pulsion morale, de sursaut civique, j’ai décidé d’intervenir. Je suis arrivé à sa hauteur et, d’un coup de matraque, je l’ai assommé net.
La commissaire
Un seul coup ?
Le prévenu
Peut-être deux ou trois. Il méritait bien une petite leçon, pensez pas, madame la commissaire ? Mon but était de récupérer le caméscope, caméscope que je suis allé vous porter. Non pas que j’attende une quelconque récompense, mais quand les circonstances l’exigent, je sais me mettre à la disposition des autorités et servir.
La commissaire
Vous êtes-vous rendu compte quand le type s’est effondré que vous l’aviez tué ?
Le prévenu
Un regrettable accident, je suis d’accord avec vous. Pourtant j’ai plutôt l’habitude, mais dans la pénombre, parfois. D’ailleurs, à bien y réfléchir, n’y aurait-il pas là comme une forme de légitime défense ?
La commissaire (ironique)
Ma foi, si on n’avait pas tout le temps les journalistes sur le dos, beaucoup de choses pourraient être reconsidérées.
Le prévenu (adhérant complètement)
Bien vrai ça. Je lis assez la presse pour le savoir. Cette façon qu’ils ont de dénaturer les faits. On a l’impression parfois que ces types-là cherchent plus à semer la pagaille qu’autre chose. D’ailleurs, je pense que tous ceux comme nous qui travaillons dans la sécurité, nous pourrions nous épauler, nous serrer les coudes.
La commissaire (avec un vague hochement de tête dubitatif)
Hum.
Le prévenu
Je suis du métier, alors les bruits qui courent sur certaines histoires plus ou moins étouffées, pensez si je connais. Je vais vous paraître un peu naïf en la matière mais je suppose que vous avez quelques trucs pour classer l’affaire, bon évidemment, vous ne pouvez pas tout dire, mais chez vous, classique non ?
La commissaire
Monsieur Languille, vous nous prêtez plus de pouvoir que nous n’en avons.
Le prévenu
En fait, le seul souci -car ne croyez pas que je n’y ai pas songé- c’est le môme. Il faudrait le convaincre de se taire.
La commissaire
Je comprends votre inquiétude concernant l’adolescent et je peux vous rassurer, il ne dira rien. C’est un garçon raisonnable.
Le prévenu
Tant mieux, tant mieux.
La commissaire
Mais nous avons quand même un cadavre sur les bras et nous vous avons appréhendé à proximité avec l’arme du crime. Si encore un CRS n’avait pas retrouvé votre matraque par terre (geste d’impuissance de la commissaire)
Le prévenu
Cette bonne blague ! Mon action n’avait pour but que de récupérer le caméscope.
La commissaire (froidement)
Monsieur Languille, écoutez-moi bien : il n’y a jamais eu de caméscope.
Le prévenu
Jamais eu, vous dites ?!!
La commissaire
Réfléchissez : évoquer cet appareil, ce serait aller à l’encontre du but que vous recherchiez. Vous seriez obligé d’étaler sur la place publique les raisons de votre geste.
Le prévenu
Ah, je comprends, vous voulez élaborer un scénario, c’est ça ? Tout de suite se mettre en situation, dans l’ambiance. Mais oui, je crois qu’il faut que, vous et moi, nous élaborions une espèce d’histoire. Alors, bon d’accord, ne pas parler du caméscope, encore moins évidemment de ce môme que vous tabassiez.
La commissaire
Voilà, vous êtes en bonne voie.
Le prévenu
Je lis parfois quelques polars et je ne suis pas dépourvu d’imagination, ça aide. Donc, on crée une espèce de flou, un mystère autour de ce crime. On dira par exemple que j’avais entendu un cri, je suis arrivé sur les lieux et, en tant qu’agent de sécurité -casier judiciaire vierge, j’ai même failli être assermenté- je me suis porté tout de suite au secours de la victime.
La commissaire
Très bien, monsieur Languille, mais pour que le scénario tienne, il vaut mieux que nous n’en sachions rien. Elaborez-le seul, faites jouer, comme vous dites, votre imagination. Bien sûr, vous aurez droit à un avocat. Sachez que vous avez notre soutien même si, vous le comprendrez aisément, il nous est impossible de l’exprimer publiquement.
L’adjoint (en lui refrappant avec ses baguettes sur la tête)
Et si tu fais de la taule, dis-toi que ça fera partie du scénario.
Le prévenu (se protégeant la tête)
Aïe !… Madame, je n’apprécie pas du tout les réflexions de votre collègue. Je veux bien collaborer mais...
La commissaire
Monsieur Languille, je vais être franche avec vous : il faut que vous compreniez que dans le monde où nous vivons, un monde où l’individualisme et l’égoïsme sont devenus la norme, votre acte désintéressé a, j’en ai bien peur, peu de chance de paraître crédible. Il est d’anciennes valeurs auxquelles notre société n’adhère plus et, croyez bien que je le regrette. Je considère votre intervention comme un acte politique au sens le plus noble du terme et je ne désespère pas d’assister un jour dans ce pays, grâce à des hommes tels que vous, à une renaissance de l’esprit civique.
Le prévenu
Je... je crois n’avoir fait que mon devoir.
La commissaire
Mais tout à fait, monsieur Languille, tout à fait. Seulement, qui pourrait réellement croire que vous aviez pour seul but de protéger l’image de la police ? Non, très franchement, ne faites aucune allusion à cela, c’est malheureux à dire mais vous ne seriez pas compris. Nous allons vous déférer auprès du juge d’instruction chargé de l’enquête. Nous sommes à vos côtés, monsieur Languille. N’oubliez pas que tout le corps de la police, tous les amis de l’ordre, tous ceux pour qui la loi et la justice ont encore un sens dans ce pays, ont les yeux tournés vers vous. Ils comptent sur votre discrétion et votre sens du sacrifice. Faites-leur cet honneur, ne les décevez pas.
Noir.