DANS LA SALLE DE BOXE
Personnages : L’entraîneur
La femme
Dans une salle de boxe, le soir. L’entraîneur est en train de ranger divers agrès. Survient la femme. L’entraîneur l’aperçoit et l’interpelle aussitôt.
L’entraîneur
Ah bonsoir madame Bormann. Si je m’attendais. Quel bon vent vous amène ? Votre époux n’est pas avec vous ?
La femme (froide et sombre)
Non.
L’entraîneur
Voyez, je suis en train de ranger la salle. Mes derniers petits gars viennent de partir. Dans le lot, certains sont promis à un bel avenir.
La femme
« Avenir » vous dites. J’ai du mal avec certains mots.
L’entraîneur (l’observant avec plus d’attention)
Vous allez bien madame Bormann ?
La femme tourne la tête autour d’elle-même, observant la salle, extrêmement pensive.
La femme
Je vais.
L’entraîneur (d’un ton indiquant son incompréhension)
Vous allez ?
La femme
Ce soir, tout a été comme vous vouliez ?
L’entraîneur
Oui, sauf que Lucien n’est pas venu. Ça ne lui arrive jamais. Peut-être que vous savez pourquoi ?
La femme
Et pourquoi voudriez-vous que je sache pourquoi ?
L’entraîneur
Je disais ça comme ça, madame Bormann. Mais je pensais que peut-être monsieur Bormann vous en avait touché un mot.
La femme (froidement)
Mon mari est une vraie tombe et Lucien préfère selon moi faire le mort.
L’entraîneur (avec un sourire gêné)
Vous avez vraiment une drôle de façon de dire les choses madame Bormann.
La femme
Je dis les choses comme elles sont.
L’entraîneur
Ce qui est sûr, c’est que monsieur Bormann ne va pas être content. Il compte beaucoup sur Lucien.
La femme
Son niveau d’exigence a nettement été revu à la baisse.
L’entraîneur
Ce que je disais, c’est pour causer.
La femme
Ça causer, vous aimez bien, pas vrai ?
L’entraîneur (déstabilisé)
Ma foi, je peux me taire, madame Bormann.
La femme
Oui, taisez-vous. J’ai besoin de silence.
Un temps
L’entraîneur
Ce que je veux dire, c’est que le prochain combat est dans deux jours. Si Lucien ne vient pas à l’entraînement, monsieur Bormann risque de le prendre très mal.
La femme
Et c’est ce que vous appelez « vous taire » ?
L’entraîneur
Excusez-moi, madame Bormann, ça m’a échappé.
La femme
Beaucoup de choses vous échappent.
L’entraîneur
C’est ce que me disent souvent ma femme et mes enfants.
La femme
S’il vous plaît, ne me parlez pas d’enfants.
L’entraîneur
Je sais, madame Bormann. Vous auriez aimé en avoir mais apparemment monsieur Bormann a eu de petits soucis de ce côté-là.
La femme
Mais de quoi je me mêle ?!
L’entraîneur
Je vous demande pardon, madame Bormann.
La femme
J’ai besoin de silence, je vous dis.
L’entraîneur
Vous ne m’entendrez plus.
La femme
Bien.
Un temps
L’entraîneur
Si je peux me permettre, madame Bormann, j’ai bien l’impression que vous n’êtes pas dans votre assiette, je me trompe ?
La femme
Apparemment, chez vous, c’est maladif.
L’entraîneur
Je ne comprends pas madame Bormann ?
La femme
Parler à tort et à travers, c’est maladif.
L’entraîneur
Je vais me taire, madame Bormann.
La femme
Bien.
Un temps
L’entraîneur
Une petite question, madame Bormann : vous savez si monsieur Bormann doit passer ?
La femme (après un court temps de silence)
Mon mari ne passera plus. Ni aujourd’hui ni un autre jour.
L’entraîneur
Comment ça, madame Bormann ?
La femme
Il est mort.
L’entraîneur
Qu’est-ce que vous dites !? Monsieur Bormann est mort ?!
La femme
Je l’ai tué.
L’entraîneur
Vous ne parlez pas sérieusement ?
La femme
J’ai pointé une arme vers lui, appuyé sur la détente et il s’est écroulé. On peut raisonnablement penser que je l’ai tué.
L’entraîneur
Mais pourquoi vous l’avez tué ?
La femme
Parce qu’il a tué Lucien
L’entraîneur
Il a tué Lucien !?
La femme
Il a tué Lucien.
L’entraîneur
Ça expliquerait peut-être pourquoi Lucien n’était pas à l’entraînement ce soir.
La femme (ironique)
On m’avait vanté votre perspicacité. Je vois qu’on ne m’avait pas trompée.
L’entraîneur
Mais du coup, une question me travaille : pourquoi Monsieur Bormann a tué Lucien ?
La femme
Parce que quelqu’un qui ne sait pas se taire est allé raconter à mon époux que Lucien était mon amant.
L’entraîneur
Quelqu’un, vous dites ?
La femme
Un homme qui parle à tort et à travers.
L’entraîneur
Vous savez madame Bormann, ici, à la salle, on est plutôt du genre taiseux.
La femme
La légendaire discrétion du boxeur, c’est ça ?
L’entraîneur
Exactement. Pour vous donner un exemple, je n’aborde pour ma part jamais la vie privée des personnes que je côtoie.
La femme sort une arme de son sac à main qu’elle manipule en la pointant mollement vers l’entraîneur.
La femme
Voilà une résolution frappée au coin du bon sens. Là, par exemple, vous ne direz à personne que j’ai une arme pointée vers vous ?
L’entraîneur (d’un ton un peu tragique)
Non, je ne le raconterai pas, sans compter que j’ai une femme et des enfants.
La femme
Je suis assez insensible à ce genre d’argument. Vous comprenez, je ne pouvais pas avoir d’enfants.
L’entraîneur
Oui, à cause de feu monsieur Bormann qui avait de petits soucis de ce côté-là.
La femme
Mais vous saurez aussi rester discret sur les soucis de mon mari, n’est-ce pas ?
L’entraîneur
Vous pouvez me faire confiance, je le ne répéterai pas.
La femme
Je sais que vous ne le répéterez pas.
L’entraîneur
Merci madame Bormann. De même, je ne dirai à personne que vous m’avez avoué avoir tué monsieur Bormann.
La femme
Oui, ça encore je sais que vous ne le répéterez pas.
L’entraîneur
Que vous en soyez si sûre, voilà bien ce qui me chagrine.
La femme
Vous pouvez vous taire ?
L’entraîneur
Bien sûr, je le peux et d’ailleurs c’est exactement ce que je vais faire.
La femme (mettant l’index de sa main disponible sur les lèvres)
Chut.
L’entraîneur
Je me tais.
Un temps
La femme
Quelle qualité de silence. C’est magnifique. Je m’en veux presque de le perturber de façon aussi vulgaire.
L’entraîneur (levant le doigt comme s’il demandait l’autorisation de parler)
Il ne faut pas, madame Bormann.
La femme
C’est ce que je me dis… sauf qu’il y a derrière la promesse d’un silence encore plus grand.
L’entraîneur hoche la tête d’un air angoissé et éperdu. Un moment de silence. La femme tire. L’entraîneur s’écroule. La femme reste un moment la tête en l’air à respirer doucement comme si elle écoutait et appréciait le silence.
Noir.
Personnages : L’entraîneur
La femme
Dans une salle de boxe, le soir. L’entraîneur est en train de ranger divers agrès. Survient la femme. L’entraîneur l’aperçoit et l’interpelle aussitôt.
L’entraîneur
Ah bonsoir madame Bormann. Si je m’attendais. Quel bon vent vous amène ? Votre époux n’est pas avec vous ?
La femme (froide et sombre)
Non.
L’entraîneur
Voyez, je suis en train de ranger la salle. Mes derniers petits gars viennent de partir. Dans le lot, certains sont promis à un bel avenir.
La femme
« Avenir » vous dites. J’ai du mal avec certains mots.
L’entraîneur (l’observant avec plus d’attention)
Vous allez bien madame Bormann ?
La femme tourne la tête autour d’elle-même, observant la salle, extrêmement pensive.
La femme
Je vais.
L’entraîneur (d’un ton indiquant son incompréhension)
Vous allez ?
La femme
Ce soir, tout a été comme vous vouliez ?
L’entraîneur
Oui, sauf que Lucien n’est pas venu. Ça ne lui arrive jamais. Peut-être que vous savez pourquoi ?
La femme
Et pourquoi voudriez-vous que je sache pourquoi ?
L’entraîneur
Je disais ça comme ça, madame Bormann. Mais je pensais que peut-être monsieur Bormann vous en avait touché un mot.
La femme (froidement)
Mon mari est une vraie tombe et Lucien préfère selon moi faire le mort.
L’entraîneur (avec un sourire gêné)
Vous avez vraiment une drôle de façon de dire les choses madame Bormann.
La femme
Je dis les choses comme elles sont.
L’entraîneur
Ce qui est sûr, c’est que monsieur Bormann ne va pas être content. Il compte beaucoup sur Lucien.
La femme
Son niveau d’exigence a nettement été revu à la baisse.
L’entraîneur
Ce que je disais, c’est pour causer.
La femme
Ça causer, vous aimez bien, pas vrai ?
L’entraîneur (déstabilisé)
Ma foi, je peux me taire, madame Bormann.
La femme
Oui, taisez-vous. J’ai besoin de silence.
Un temps
L’entraîneur
Ce que je veux dire, c’est que le prochain combat est dans deux jours. Si Lucien ne vient pas à l’entraînement, monsieur Bormann risque de le prendre très mal.
La femme
Et c’est ce que vous appelez « vous taire » ?
L’entraîneur
Excusez-moi, madame Bormann, ça m’a échappé.
La femme
Beaucoup de choses vous échappent.
L’entraîneur
C’est ce que me disent souvent ma femme et mes enfants.
La femme
S’il vous plaît, ne me parlez pas d’enfants.
L’entraîneur
Je sais, madame Bormann. Vous auriez aimé en avoir mais apparemment monsieur Bormann a eu de petits soucis de ce côté-là.
La femme
Mais de quoi je me mêle ?!
L’entraîneur
Je vous demande pardon, madame Bormann.
La femme
J’ai besoin de silence, je vous dis.
L’entraîneur
Vous ne m’entendrez plus.
La femme
Bien.
Un temps
L’entraîneur
Si je peux me permettre, madame Bormann, j’ai bien l’impression que vous n’êtes pas dans votre assiette, je me trompe ?
La femme
Apparemment, chez vous, c’est maladif.
L’entraîneur
Je ne comprends pas madame Bormann ?
La femme
Parler à tort et à travers, c’est maladif.
L’entraîneur
Je vais me taire, madame Bormann.
La femme
Bien.
Un temps
L’entraîneur
Une petite question, madame Bormann : vous savez si monsieur Bormann doit passer ?
La femme (après un court temps de silence)
Mon mari ne passera plus. Ni aujourd’hui ni un autre jour.
L’entraîneur
Comment ça, madame Bormann ?
La femme
Il est mort.
L’entraîneur
Qu’est-ce que vous dites !? Monsieur Bormann est mort ?!
La femme
Je l’ai tué.
L’entraîneur
Vous ne parlez pas sérieusement ?
La femme
J’ai pointé une arme vers lui, appuyé sur la détente et il s’est écroulé. On peut raisonnablement penser que je l’ai tué.
L’entraîneur
Mais pourquoi vous l’avez tué ?
La femme
Parce qu’il a tué Lucien
L’entraîneur
Il a tué Lucien !?
La femme
Il a tué Lucien.
L’entraîneur
Ça expliquerait peut-être pourquoi Lucien n’était pas à l’entraînement ce soir.
La femme (ironique)
On m’avait vanté votre perspicacité. Je vois qu’on ne m’avait pas trompée.
L’entraîneur
Mais du coup, une question me travaille : pourquoi Monsieur Bormann a tué Lucien ?
La femme
Parce que quelqu’un qui ne sait pas se taire est allé raconter à mon époux que Lucien était mon amant.
L’entraîneur
Quelqu’un, vous dites ?
La femme
Un homme qui parle à tort et à travers.
L’entraîneur
Vous savez madame Bormann, ici, à la salle, on est plutôt du genre taiseux.
La femme
La légendaire discrétion du boxeur, c’est ça ?
L’entraîneur
Exactement. Pour vous donner un exemple, je n’aborde pour ma part jamais la vie privée des personnes que je côtoie.
La femme sort une arme de son sac à main qu’elle manipule en la pointant mollement vers l’entraîneur.
La femme
Voilà une résolution frappée au coin du bon sens. Là, par exemple, vous ne direz à personne que j’ai une arme pointée vers vous ?
L’entraîneur (d’un ton un peu tragique)
Non, je ne le raconterai pas, sans compter que j’ai une femme et des enfants.
La femme
Je suis assez insensible à ce genre d’argument. Vous comprenez, je ne pouvais pas avoir d’enfants.
L’entraîneur
Oui, à cause de feu monsieur Bormann qui avait de petits soucis de ce côté-là.
La femme
Mais vous saurez aussi rester discret sur les soucis de mon mari, n’est-ce pas ?
L’entraîneur
Vous pouvez me faire confiance, je le ne répéterai pas.
La femme
Je sais que vous ne le répéterez pas.
L’entraîneur
Merci madame Bormann. De même, je ne dirai à personne que vous m’avez avoué avoir tué monsieur Bormann.
La femme
Oui, ça encore je sais que vous ne le répéterez pas.
L’entraîneur
Que vous en soyez si sûre, voilà bien ce qui me chagrine.
La femme
Vous pouvez vous taire ?
L’entraîneur
Bien sûr, je le peux et d’ailleurs c’est exactement ce que je vais faire.
La femme (mettant l’index de sa main disponible sur les lèvres)
Chut.
L’entraîneur
Je me tais.
Un temps
La femme
Quelle qualité de silence. C’est magnifique. Je m’en veux presque de le perturber de façon aussi vulgaire.
L’entraîneur (levant le doigt comme s’il demandait l’autorisation de parler)
Il ne faut pas, madame Bormann.
La femme
C’est ce que je me dis… sauf qu’il y a derrière la promesse d’un silence encore plus grand.
L’entraîneur hoche la tête d’un air angoissé et éperdu. Un moment de silence. La femme tire. L’entraîneur s’écroule. La femme reste un moment la tête en l’air à respirer doucement comme si elle écoutait et appréciait le silence.
Noir.